Après la franche réussite qu’avait constituée Frances Ha, dire que Noah Baumbach déçoit avec While We’re Young est un doux euphémisme. L’absence de sa muse (et coscénariste) Greta Gerwig ne suffit pas à expliquer le ratage de ce nouveau film au demeurant plus banal que véritablement mauvais : un acteur, aussi brillant soit-il, reste avant tout tributaire du regard qu’un cinéaste porte sur lui. À cet égard, la mise en scène alerte de Frances Ha ne se contentait pas d’offrir un écrin au jeu de Gerwig : elle produisait un peu d’imaginaire en habillant New York d’un noir et de blanc qui la rendait méconnaissable (y compris aux yeux de ceux qui y vivent), et le montage, très fluide, façonnait à partir d’ellipses narratives un récit à l’étonnante vélocité. Dans l’errance urbaine de cette jeune femme ballottée de colocations en déménagements, il se disait, mine de rien, pas mal de choses en finalement peu de temps (1h25 montre en main), à commencer par la difficulté d’être singulière dans une époque où tout le monde cherche à se ressembler en cultivant les mêmes différences.
Safari hipster
Quoiqu’imparfaite, Frances se distinguait de la faune locale par une absence totale de cynisme et une désarmante sincérité. Dépouillés des emblèmes les plus visibles de leur branchitude, les jeunes gens calculateurs parmi lesquels elle se frayait un chemin se résumaient à leur double discours, injectant à ses relations une ambiguïté bienvenue. Rien ou presque de cette inventivité ne subsiste dans While We’re Young, œuvre du même acabit que le surcoté Greenberg (à contre-emploi dans l’un et l’autre, Ben Stiller y est toutefois excellent). Josh (Stiller) et Cornelia (Naomi Watts, merveilleuse mais sous-exploitée) forment un couple sans enfant au mitan de la quarantaine. Leur existence est chamboulée par l’irruption dans leur vie de Jamie (Adam Driver) et Darby (Amanda Seyfried), caricatures de hipsters comme Brooklyn les manufacture en série. Jamie voue à Josh une admiration un peu suspecte pour un documentaire auquel ce dernier n’est jamais parvenu à donner suite. L’impasse créative dans laquelle se trouve Josh s’aggrave en outre d’un complexe de castration, que fait peser sur lui son propre beau-père, un documentariste célébré.
Sur ce canevas surécrit où les personnages remplissent avant tout des fonctions, While We’re Young tente une chronique générationnelle où les artifices scénaristiques l’emportent sur le désir d’émouvoir. C’est tout particulièrement vrai dès que les motivations réelles du personnage de Jamie éclatent au grand jour et que le film s’achemine vers une inévitable confrontation. Au passage, sous couvert de brocarder le hipstérisme, Baumbach donne le sentiment de ne surtout pas vouloir paraître intempestif. Qu’il se rassure : en saturant ses plans de signes empruntés à cette culture, jusqu’à ce fedora qu’arbore à son tour Josh par mimétisme avec Jamie, le réalisateur réussit pleinement le film qui lui tenait manifestement à cœur, celui qui fait mine de s’interroger sur la pertinence d’être quadra dans une métropole en proie à un perpétuel rajeunissement, mais ne se pose en définitive aucune question sur la nécessité d’extraire son cinéma de ce terrarium new-yorkais dans lequel il se regarde complaisamment grandir.
C’est que Baumbach préfère aujourd’hui labourer la parcelle de Lena Dunham et se réclamer de la petite sociologie normative de Girls, série qui entrera dans l’histoire pour avoir parachevé la gentrification de pans entiers d’une ville. À la sortie de Frances Ha, où il figurait déjà au générique, Adam Driver était encore un acteur confidentiel. Devenu entretemps l’un des visages les plus identifiables de cet univers, il livre une interprétation convaincante, mais qui n’en reste pas moins une variation autour du rôle qui l’a popularisé – à la différence que son personnage est ici ambivalent, maniéré et tatoué. S’approprier Driver n’est donc pas indifférent, et si, à travers lui, la satire des mœurs hipster se révèle parfois amusante (notamment grâce à l’usage du montage parallèle pour moquer les codes respectifs), elle est en permanence court-circuitée par la propension de Baumbach à tout passer au tamis de ses propres références, ici innombrables. Était-il vraiment nécessaire de citer Ibsen et Godard dans le texte ? De confier la bande-son à James Murphy (de LCD Sound System) et un rôle secondaire à l’ex-Beastie Boys Adam Horovitz ? Ce cinéma indépendant qui multiplie les effets de style au lieu d’assimiler ses influences est décidément trop soucieux de plaire pour véritablement surprendre, aux antipodes des gestes de James L. Brooks ou de Whit Stillman, représentants obstinés d’une école buissonnière de la comédie américaine.
Conte moral édulcoré
Cette prévisibilité se retrouve dans la roublardise du scénario, arc-bouté sur cette rivalité à la symétrie trop parfaite, où jeunisme triomphal et maturité faite de ressentiments et de rêves enfuis sont renvoyés dos à dos. L’arbitre de ces élégances est une attachante figure de patriarche, joué par le remarquable et trop méconnu Charles Grodin. C’est à lui que s’identifie le spectateur, que cette vaine agitation déguisée en crise existentielle tour à tour irrite ou ennuie ; indiffère le plus souvent. Elle s’étirera une heure et demie durant avant d’accoucher d’une morale passe-partout : l’hyper-individualisme n’a pas d’âge ; la jeunesse est cet horizon qui nous précède tous ; seule l’arrivée d’un enfant en conjure momentanément la perte irrémédiable. Il faut espérer que la sortie prochaine – cet été aux États-Unis, cet hiver en France –, de Mistress America, qui scelle les retrouvailles (à l’écran) de Gerwig et Baumbach, saura produire les étincelles dont While We’re Young s’avère incapable. En attendant, il est permis de revoir Louie, la géniale série de Louis C.K., dont le rire teinté de mélancolie déchirante quintessencie la beauté et l’absurdité de la condition humaine à New York. Tout ce qui, en somme, fait défaut à ce film un peu trop scripté et poseur pour être honnête.