À plusieurs égards, White Noise aurait pu marquer un tournant dans la filmographie de Noah Baumbach. Habitué aux petites productions et aux récits intimistes, il signe cette fois un film catastrophe qui se présente comme un quasi-blockbuster (avec un budget de 80 millions de dollars, soit plus de quatre fois celui de Marriage Story). Autre rupture notable : le film ne s’appuie pas sur un scénario original, mais constitue l’adaptation (fidèle) d’un roman culte de Don DeLillo, Bruit de fond, paru en 1985. White Noise adopte une construction en trois parties : la première dépeint l’harmonie qui règne dans une petite famille d’intellectuels et l’amour liant les deux époux, Jack (Adam Driver) et Babette (Greta Gerwig) ; la seconde, l’épisode de crise qui voit les personnages fuir leur banlieue pavillonnaire pour éviter d’être infectés par un nuage toxique ; la troisième, le retour à la vie quotidienne après la catastrophe, et la manière dont les conséquences de cette dernière dérèglent la cellule familiale. On le voit, cette construction vise à sonder (un peu mécaniquement) des angoisses existentielles aussi bien que contemporaines : Baumbach semble avant tout voir dans le roman de Don DeLillo le moyen de saisir, à travers les années 1980, l’esprit de notre propre époque.
On pouvait légitimement craindre, face à l’ambition d’un tel projet (une grosse production tirée d’un livre réputé inadaptable), de voir Baumbach tourner le dos à l’approche intimiste qui fait la valeur de ses films les plus notables. La première partie de White Noise, la plus réussie, tempère d’abord ces doutes. L’univers de Don DeLillo semble alors fournir à Baumbach la matière d’une satire de la bourgeoisie intellectuelle, et plus précisément du monde académique. La direction artistique fantaisiste du film plante les personnages d’universitaires dans un monde très coloré, régulièrement mis en parallèle avec celui des supermarchés, pour figurer l’inanité d’un espace intellectuel où chacun cherche avant tout à se vendre. Mais les choses se gâtent rapidement : le basculement de White Noise vers le grand spectacle et l’effroi voit Baumbach perdre le contrôle de son film. La mise en scène se fait alors plus grandiloquente, mais aussi plus impersonnelle, et l’on s’étonne parfois de voir le cinéaste se livrer à de longs mouvements d’appareil ornementaux et éloignés de son style, comme s’il cherchait à se plier coûte que coûte aux exigences d’une grande production. À quelques exceptions près, comme ce plan en plongée sur Adam Driver, qui semble presque filmé à travers le nuage toxique en train de le contaminer, Baumbach peine à rendre palpable l’inquiétude ressentie par ses personnages. Ce sentiment culmine dans une ultime partie particulièrement laborieuse, dont les dialogues explorent trop littéralement les névroses de Jack et Babette, et où Baumbach finit par enchaîner abruptement des vignettes absurdes et trop disjointes, qui donnent l’impression de livrer une sorte de best-of mal digéré du roman original. Pari raté, donc.