On pourrait faire un travail de dépouillement des pistes ouvertes par Wrong, et recouper les hypothèses pour dégager un sens, un discours. Enclencher la réflexion, disséquer le film, envisager la rêverie, la métaphore, plaquer toute forme de compréhension sur le film. D’autres critiques l’ont fait ou le feront. Mais le cœur n’y est pas. Nous savons très bien, au fond, que Dupieux nous mène en bateau. Faire ce travail, ce serait combler les trous du film lui-même : il faudrait tricher, échafauder des théories, en rajouter généreusement pour en faire une œuvre identifiée, ou pire, l’inscrire dans le parcours de son « auteur » – comble du snobisme. Sincèrement, nous n’avons pas très envie de servir cette soupe au premier artistaillant venu. La farce est trop grosse, alors ne faisons pas semblant d’avoir affaire à ce que Wrong prétend être – un jeu de piste, autant pour son héros que pour son spectateur. La machine tourne à vide, bien que très bruyamment. Ne nous laissons pas embobiner et appelons un chat un chat : Wrong, c’est du toc et rien d’autre.
Clip de luxe
Et puis quitte à ne pas se laisser prendre pour des billes, autant ne pas s’arrêter à ce que le film de Dupieux n’est pas, et aller fouiller un peu du côté de ce qu’il est. Car si du côté de la narration, c’est le bazar et rien d’autre, il y a bien une cohérence du côté de la plastique : le filtre vintage. Wrong, c’est le film calibré hipster par excellence, le film Instagram, terni dans un canevas beige-gris mollement solaire, anti-esthétique. Chaque image semble se contorsionner pour apparaître dans la bande-annonce. Cadrage poseur, décor californien, bizarrerie cool, rien ne fait jamais défaut pour qu’entre les quatre bords du cadre se joue un tableau séducteur, volontiers condescendant. Oui, condescendant, parce qu’il y a dans le déménagement outre-Atlantique de l’usine Dupieux quelque chose de narquois. Le cinéaste-DJ adhère si benoitement à la mythologie plastique américaine (le moindre objet est prétexte au dépaysement le plus rentre-dedans), il s’y soumet avec une telle obséquiosité qu’il a l’air de nous dire adieu. Adieu, veaux, vaches, Français, Françaises, je n’ai qu’une envie : être estampillé auteur U.S., indé cool, me débarrasser de cette généalogie cinématographique qui m’encombre et me répugne.
Voilà à peu près tout ce qu’il y a à dire de Wrong, puisque s’étendre plus ne serait que du défoulement (si ce n’est pas déjà le cas). Dupieux peut bien s’envoler à l’autre bout du monde pour nous envoyer des cartes postales (ou plutôt un polaroid de sa maison de poupée), le cinéma hexagonal fera volontiers sans ce genre d’arrivisme.