Carlotta poursuit sa politique d’édition des classiques italiens et nous offre cette semaine encore un DVD de grande qualité, avec le Casanova ’70, de Mario Monicelli. Fruit d’un travail commun des plus grands noms du cinéma italien, et de la comédie à l’italienne en particulier – Carlo Ponti, Monicelli, Mastroianni, Tonino Guerra, Suso Cecchi D’Amico, Age-Scarpelli, Virna Lisi, etc – le film n’a pas la force de comédies antérieures auxquelles ils ont pu associer leurs noms, comme Le Pigeon en 1958 ou Hier, aujourd’hui et demain, en 1963. Casanova ’70 n’en est pas moins un film léger, divertissant, vaudevillesque, qui mérite d’être revu.
Quel Casanova ?
Le spectateur voyant Marcello Mastroianni au générique d’un film intitulé Casanova ’70 peut à juste titre croire s’avancer en terrain connu. Il semble en effet dans la logique des choses que Marcello Mastroianni, sacré latin lover par excellence depuis La Dolce Vita (1960) ait été choisi pour incarner la figure emblématique de la séduction. Mais le Casanova des années 1970, passé à la moulinette de la comédie, a peu à voir avec son ancêtre italien. Le danger, l’aventure et les femmes rythment sa vie, certes, mais la ressemblance s’arrête là. Car le « Casanova » de Monicelli rappellerait plutôt un autre rôle interprété par Mastroianni, un an après La Dolce Vita : celui de l’époux impuissant du Bel Antonio (Mauro Bolognini, 1961). En effet, Andrea, bel officier de l’OTAN et coureur de jupons, est frappé d’un mal tragique (et comique) : il ne peut plus désirer les femmes que s’il se trouve dans des situations périlleuses. Le voici donc réduit à jouer au voleur pour pénétrer par « effraction » dans la chambre de sa belle (Michèle Mercier), à envoyer un télégramme à un mari cocu pour qu’il surprenne son aventure avec l’épouse adultère, ou encore à chanter des chansons toute la nuit à sa nouvelle conquête, lors d’une belle soirée romantique à Naples, pour repousser l’instant fatidique où la belle découvrirait son impuissance. Désespéré, il finit par consulter un psychanalyste, qui lui conseille de se contenter désormais de relations « spirituelles et platoniques »… et de tenir un journal intime : joli clin d’œil aux mémoires du Casanova historique. Andrea relèvera-t-il le défi ? Rien n’est moins sûr. Il faut dire qu’il a contre lui un ennemi redoutable : les femmes, qui aiment tant être séduites…
Une comédie à l’italienne ?
Les noms les plus prometteurs s’accumulent au générique – Carlo Ponti à la production, Monicelli à la réalisation, Tonino Guerra pour le sujet, Suso Cecchi d’Amico et le tandem Age-Scarpelli au scénario etc., sans que le film soit à la hauteur des espoirs suscités. Comme le dit Grégory Valens dans le bonus du DVD, Casanova ’70 a l’air d’une « récréation » pour tous ces grands noms du cinéma italien et de la comédie à l’italienne en particulier. Casanova ’70 appartient-il de plein droit à ce genre florissant dans les années 1960 ? Oui, mais à la manière light. On ne retrouve pas ici le fond dramatique et la tonalité tragique qui donnent aux films du genre une couleur si particulière, depuis Le Pigeon (produit en 1958 par Carlo Ponti, réalisé par Monicelli, écrit par Suso Cecchi d’Amico, Agenore Incrocci et Furio Scarpelli et avec Mastroianni…). La critique sociale s’y fait elle aussi discrète : la satire des « institutions » (l’OTAN, l’armée, la police, la psychanalyse) sert de ressort comique, parfois très efficace (la séquence chez le psychanalyste a une saveur comique indéniable), et le film reflète le visage d’une Italie en mutation dans les années 1960 (sur le plan de la sexualité, des rapports homme-femme, des particularismes régionaux, etc). Mais tout cela intervient sur un mode léger, en surface, sans qu’une véritable dialectique ne s’instaure entre le comique et une attitude critique susceptible de brouiller le rire et de creuser la réflexion.
Sur les frontières du film à sketches
Casanova ’70 divertit, par son côté vaudevillesque, par les gags qu’il enchaîne avec légèreté. Il tient effectivement du film à sketches, comme le souligne aussi Grégory Valens. Comme Vittorio De Sica dans Hier, aujourd’hui et demain, Monicelli, suivant Andrea dans sa quête, s’amuse ici à parcourir l’Italie et exploite avec une certaine efficacité le potentiel comique lié aux caractéristiques des différentes régions : les dialectes notamment soutiennent le comique (probablement difficilement perceptible pour le spectateur étranger) dans les séquences en Sicile et dans les Pouilles, et l’univers machiste de l’Italie méridionale fournit à la comédie quelques gags bien amusants. Mais l’on peut regretter qu’il ne tire pas pleinement parti des logiques de répétitions-variations, ressemblances-différenciations qui sous-tendent ce « sous-genre » de la comédie à l’italienne. De même, dans chacune des étapes de son long calvaire, Andrea est confronté à une nouvelle figure féminine, ce qui permet au réalisateur de jouer sur des duos toujours renouvelés mettant en scène Mastroianni avec Michèle Mercier, Virna Lisi, Marisa Mell et bien d’autres beautés toutes plus sensuelles et désirables les unes que les autres. Mais l’on ne retrouve pas dans ces duos d’acteurs toutes les étincelles qui ont pu jaillir par exemple des confrontations entre Mastroianni et Sophia Loren dans Hier, aujourd’hui et demain, et entre Mastroianni et Catherine Spaak, Virna Lisi et Pamela Tiffin, dans Aujourd’hui, demain et après-demain.
Carlotta, pour le meilleur, encore et toujours
Le film a fait l’objet d’une très belle restauration, et l’on se réjouit de pouvoir profiter, en plus de la bande annonce de l’époque, typique des comédies à l’italienne (c’est-à-dire toute pimpante et sautillante, avec musique pop et couleurs « flashy ») de deux scènes plutôt drôles, coupées au montage final pour réduire la longueur du film.
Carlotta enrichit l’édition d’un bonus inédit très intéressant : il s’agit d’un commentaire du film par Grégory Valens, critique du cinéma à Positif, qui resitue le film dans la carrière de Monicelli, Mastroiani, Carlo Ponti, évoque la place de l’œuvre par rapport à la comédie à l’italienne et approfondit certains aspects du film. Il évoque, pour cette commande de Carlo Ponti, sixième et dernière collaboration entre Monicelli et Mastroianni, un « film mineur », une récréation sympathique qui marque une charnière dans l’œuvre de Monicelli (après ses films avec Totò, ou Le Pigeon, et avant les comédies des années 1970 comme le sublime Un bourgeois tout petit tout petit), et de Mastroianni (Casanova ’70 faisant la synthèse entre ses talents comiques (Le Pigeon) et son image de latin lover, avant le tournant que prend sa carrière avec l’expérience théâtrale à Rome ou à Londres et l’interprétation au cinéma de personnages plus divers (comme dans La Dixième Victime, film d’anticipation d’Elio Petri, en 1965). Carlo Ponti lui-même, producteur vedette du cinéma italien en général et de la comédie à l’italienne en particulier, et accompagnateur de la Nouvelle Vague française avec Georges de Beauregard, s’offre peut-être une petite récréation, en surfant sur l’image de Mastroianni. Grégory Valens revient aussi le tandem Age-Scarpelli, qui ont certainement imprimé au film la structure implicite du film à sketches et dont le talent comique se manifeste particulièrement ici dans le jeu sur les dialectes et la scène finale du procès, burlesque, farcesque. C’est dans cette scène finale, sans aucun doute, qu’une certaine « morale » se fait jour : Mastroianni y fait l’éloge de la conquête de la femme aimée, en un temps où les femmes faciles, trop faciles, retirent à l’amour tout son piquant.
De la figure historique de Casanova à ce Casanova moderne pris dans les mailles de la comédie à l’italienne, le fossé est grand, mais le titre n’est pas uniquement « publicitaire », pour reprendre le terme employé par Grégory Valens. Monicelli utilise toute l’aura d’un nom associé à la séduction comme art pour se moquer d’une virilité mise à mal par la libération des années 1960 : Andrea-Mastroianni est un Casanova moderne et un Casanova comique, assurément. Dix ans plus tard, Fellini s’attaquera à la figure du Casanova historique, dans le film éponyme réalisé en 1976 : mais c’est à Donald Sutherland, et non à son ami et acteur fétiche, Marcello Mastroianni, qu’il fera appel.