Robert Siodmak, réalisateur de l’Âge d’or d’Hollywood quelque peu oublié, voit trois de ses films réunis au sein d’un même coffret : l’occasion de découvrir des films aussi différents que Le Signe du Cobra (1944) et Les Mains qui tuent (Phantom Lady, 1946) mais surtout de revoir le bijou qui révéla Ava Gardner aux cinéphiles : Les Tueurs (1946).
Avant de débarquer à Hollywood à la fin des années 1930 pour y fuir l’Allemagne nazie, Robert Siodmak, à l’instar de Fritz Lang, est passé par la France où il a réalisé quelques films, dont La Vie parisienne (1936) et Mollenard, capitaine corsaire (1937). Il réalise son premier film américain en 1939, Pièges, avec Erich von Stroheim et Maurice Chevalier, dont Douglas Sirk fera un remake en 1947 sous le nom Des filles disparaissent. Autant dire que les trois films réunis par Carlotta dans ce coffret retracent clairement les débuts de la carrière américaine du cinéaste dont le dernier film sera réalisé en 1967.
Très différent des autres projets qui caractériseront sa notoriété, Le Signe du Cobra (1944) est très certainement le moins intéressant du coffret. Avant tout destiné au grand public en quête de divertissement, ce film conte les péripéties d’un homme venu chercher sa fiancée détenue sur une île du Pacifique où sa sœur jumelle règne avec tyrannie. Passons sur l’improbabilité, voire la naïveté plus ou moins assumée, du récit car Le Signe du Cobra est avant tout un concentré de kitsch exotique servi par un technicolor flamboyant. Tout y est : des décors paradisiaques aux danses endiablées à l’érotisme plutôt toc de la prêtresse, tous les ingrédients sont ici réunis pour séduire le jeune public. Les autres sont par contre invités à s’intéresser aux deux autres films du coffret, petits joyaux du film noir.
Les Mains qui tuent, connu également sous le titre original Phantom Lady, est également réalisé en 1944. Le scénario, digne d’un des meilleurs films d’Hitchcock, s’articule autour d’un homme qu’on accuse d’avoir assassiné sa femme. Son seul alibi, une jeune femme inconnue avec qui il a passé la soirée et dont il ne connaît pas l’identité. Alors qu’il est condamné pour meurtre, une de ses amies se met en tête de retrouver toutes les témoins de cette soirée. L’originalité de ce film trop méconnu tient dans cette manière qu’ont les personnages de se substituer les uns aux autres tout au long du récit, comme le fera Alfred Hitchcock pour Psychose quelques années plus tard. Tout d’abord concentré sur le jeune homme délaissé par sa femme qui en rencontre une autre pour finalement être accusé de meurtre, le scénario s’axe ensuite totalement sur les péripéties de l’enquête officieuse au cours de laquelle la jeune amie s’expose à tous les risques. Dans une atmosphère particulièrement moite (les nuits d’été torrides de New York), le film visite des lieux endiablés où le free-jazz réveille toute sorte de pulsions sexuelles. Si l’identité du vrai tueur est révélée au milieu du film, Les Mains qui tuent sait tenir le spectateur en haleine jusqu’au bout. Le décalage entre les informations détenues par les personnages et celles connues par le spectateur nourrit une angoisse tout à fait originale pour un film noir dont le genre, encore émergent, n’est réellement apparu qu’en 1941 avec Le Faucon maltais de John Huston.
Chef d’œuvre désormais incontournable, Les Tueurs, réalisé en 1946, n’avait jamais bénéficié d’une édition en DVD. C’est désormais chose faite, grâce à Carlotta qui propose le film à la fois au sein du coffret, mais également en édition double. Agrémenté de nombreux bonus qui offrent de nouveaux éclairages sur le film, Les Tueurs est la quintessence du film noir, entièrement construit en flash-backs. Un homme (Burt Lancaster) est retrouvé assassiné par des tueurs qu’il attendait visiblement. Le versement d’une prime d’indemnité encourage l’agent d’assurance à mener sa propre enquête. Il découvre progressivement qu’après avoir abandonné une modeste carrière de boxeur, l’homme s’était compromis dans l’attaque organisée d’un bureau de paie. Manipulé par une jeune femme elle-même fiancée au chef du gang, l’homme s’était finalement résigné à mourir. Complexe sur le papier, le scénario est servi par une mise en scène d’une fluidité admirable qui alterne les allers-retours entre passé et présent. Presque fataliste sur la condition humaine, Les Tueurs est nourri de cette urgence de vivre ou de fuir qui apporte une véritable tension au récit, comme l’atteste la toute première scène du film, d’un réalisme et d’une noirceur totalement assumés. Ce film marque également la première grande apparition d’Ava Gardner en femme fatale.