Comme quelques-uns de ses compatriotes contemporains, Robert Siodmak, fuyant l’Allemagne nazie et appelé plus tard à gagner les États-Unis, fit une escale en France où il laissa quelques films. Mister Flow (1936) n’est pas le plus connu d’entre eux, en tout cas marqua-t-il moins les esprits cinéphiles que La crise est finie (1934) ou Pièges (1939). Si l’éditeur Les Documents Cinématographiques fait redécouvrir ce film en une double édition DVD et Blu-Ray, c’est autant pour son réalisateur que pour sa rareté (on l’a longtemps cru perdu), et aussi parce qu’il s’agit de l’adaptation d’un roman de l’illustre Gaston Leroux. Pourtant, du talent de feuilletonniste de ce dernier, on n’en distingue que des bribes dans ce qui ne s’impose pas parmi les œuvres les plus convaincantes du futur réalisateur des Tueurs, tout en restant intéressant.
Le film conte la mésaventure d’Antonin, jeune avocat parisien sans le sou qui, tombé dans un traquenard, doit se comporter comme un autre. Son premier client depuis des mois, sous ses dehors de frêle domestique emprisonné pour un simple vol, se révèle un cambrioleur de réputation internationale signant ses méfaits « Mister Flow » ; livré de son propre chef à la police sous sa couverture pour se mettre à l’abri, il a piégé l’avocat pour le forcer à exécuter de basses besognes à l’extérieur. Dépêché à Deauville sous une fausse identité, le naïf Antonin doit y apprendre les pratiques de la cambriole et du faux-semblant, sous la tutelle d’une mystérieuse Lady Helena Scarlett qui se trouve être la maîtresse de Mister Flow, et avec laquelle les rapports vont devenir plus intimes. L’intrigue rappelle ainsi les aventures des héros hitchcockiens, innocents menacés par la justice et amenés à tâter des écarts coupables ; mais c’est avec une aisance visiblement moindre que celle de « Hitch » que le film cherche un équilibre instable entre plusieurs registres, film noir, aventures, comédie sentimentale, et même une dernière partie en scènes de procès qui semble n’exister que pour donner plus de présence au suave Louis Jouvet (dans le rôle de Mister Flow), lequel n’aura tenu jusqu’ici qu’un rôle d’arrière-plan. Surtout, Mister Flow se handicape en laissant la part belle au scénariste Henri Jeanson, lequel traite la part comique du film comme un prétexte à un défilé de bons mots dans la grande et ancienne tradition des dialoguistes français, plombant ainsi notamment les scènes de dispute entre les potentiels amants (Fernand Gravey — futur mari de Danielle Darrieux dans La Ronde d’Ophuls — et Edwige Feuillère) en y corsetant la sincérité des sentiments dans les grossiers effets comiques verbaux.
Trouble en pointillés
Quant à Siodmak, il n’est pas sûr qu’il ait été très intéressé par ce mélange des genres, à voir comment sa mise en scène tâche plutôt de semer de discrets indices de l’inconfort du héros — non comme jouet d’une manipulation, mais comme quelqu’un qui doit jongler entre sa nature profonde et l’image qu’il veut se donner de lui-même. Dès l’entrevue qui va sceller son destin, face au sbire boiteux de Mister Flow venu l’engager, le champ-contrechamp dans l’axe confronte brutalement le jeune homme à l’issue qui lui est proposée pour sortir de sa stagnation — autant professionnelle que personnelle. Et il y a aussi ces jeux suggestifs avec les miroirs, comme ce raccord qui oppose le reflet du couple (tel qu’Antonin aime le voir) et juste après, le reflet dédoublé d’Helena seule (telle que celle-ci le conçoit). Même le happy-end en garde une certaine ambiguïté : dans une valise dont on a un instant cru le contenu dangereux, un miroir renvoie l’image des amants définitivement réunis, puis se baisse, le temps de nous laisser nous demander s’il ne va pas dévoiler autre chose… Ainsi, à travers ce film prenant un peu trop souvent des accents de vaudeville, court en pointillés une certaine inquiétude qui ne le laisse pas tout à fait anodin.
Les bonus de cette édition n’attirent qu’une passagère curiosité : une intervention du petit-fils de Gaston Leroux évoquant son ancêtre ; et un court-métrage de 1932, Un coup manqué de Marco de Gastyne, sans doute ajouté pour sa proximité thématique avec Mister Flow (les mésaventures d’un piètre cambrioleur amateur), mais qui relève, lui, franchement d’un registre boulevardier sans grand intérêt. Le film de Siodmak, malgré ses limites, se suffit bien à lui-même.