Paru en juin chez Yellow Now, l’abécédaire du cinéma expérimental de Raphaël Bassan offre une vision érudite et personnelle de cet art de l’image qui, comme la musique, « veut toucher l’intellect et les sens sans passer par la narration, la fiction ou la figuration ».
Une autre idée de l’encyclopédie
Première originalité de cette entreprise : plutôt que d’établir une série d’entrées unifiées, l’ouvrage rassemble différents types d’écrits. Il donne à la fois une perspective générale sur le sujet à travers des panoramas historiques (les articles « ABC des fondamentaux », « Encyclopédie du cinéma d’avant-garde et expérimental français »…), donne la parole à des acteurs de cette scène, qu’ils soient cinéastes, théoriciens, ou qu’ils œuvrent à la diffusion du cinéma expérimental (de Patrick Bokanowski à Boris Lehman, de Raymond Bellour à Nicole Brenez), et revient sur les figures fondatrices du genre, dont il présente le parcours et les œuvres majeures. À quelques rares exceptions près, ces différents textes avaient d’abord été publiés dans des revues (Zeuxis, Écran, ou encore Bref), des ouvrages collectifs, ou encore dans l’Encyclopædia Universalis.
La seconde originalité du livre se fonde sur cette diversité des sources : l’ancrage géographique, historique et subjectif de ces textes est mis en avant. Au début de chaque entrée, le contexte à l’occasion duquel l’article a été écrit est précisé ; il s’agit souvent d’un événement : une exposition, une rétrospective… Ainsi, en même temps qu’il revient sur l’histoire du cinéma expérimental et sur son actualité, cet Abécédaire se présente comme un témoignage de la façon dont ces œuvres ont pu être vues en France entre la fin des années 1970 et aujourd’hui, et de l’intérêt que l’on a pu leur porter au fil du temps.
Vécus cinéphiles
Par ses articles qui proposent des visions panoramiques du cinéma expérimental et son insistance sur les fondamentaux de son histoire (l’ouvrage accorde notamment une place importante aux avant-gardes des années 1920), cet Abécédaire constitue une parfaite introduction à une branche du cinéma toujours marginale. Il ne prétend cependant pas à l’exhaustivité. Comme le précise l’auteur dans se préface, le choix des cinéastes mis en avant est en partie liés aux exigences éditoriales des revues auxquelles il a participé : « Il est évident qu’il est plus facile de décrocher une commande sur Mekas et Warhol que sur Paolo Gioli (et là je prends l’exemple d’un cinéaste italien reconnu). » C’est probablement la raison pour laquelle de nombreux grands noms du cinéma expérimental ne bénéficient pas d’une entrée spécifique, même s’ils sont évoqués dans les articles généraux – on remarque notamment les absences de Paul Sharits, George Kuchar, Hollis Frampton, Ken Jacobs, ou encore Peter Tscherkassky. S’il ne peut donc remplir la fonction d’ouvrage de référence absolu pour les passionnés du cinéma expérimental, il propose à ce public des ressources intéressantes, notamment des entrées portant sur quelques auteurs méconnus (Frans Zwartjes, Hans Helmut, Klaus Schoenherr…). Les entretiens s’avèrent aussi particulièrement importants pour la compréhension d’une cinématographie qui est souvent affaire de démarches personnelles et de positionnements particuliers, contribuant à la faire au moins exister face à l’hégémonie du cinéma de fiction traditionnel, tout en se distinguant généralement de ce que l’on appelle l’« art contemporain ».
Autres apports intéressants de ce livre : des sélections d’images qui mettent en évidence la parenté visuelle entre certaines œuvres ; deux bibliographies très riches, l’une consacrée au cinéma en général (dans les cas où il admet l’existence du cinéma expérimental) et l’autre donnant les ressources essentielles sur chacun des cinéastes faisant l’objet d’une entrée indépendante. Un index des noms propres, titres et thèmes, permettant un approche plus ciblée de l’ouvrage, achève d’en faire une ressource importante.