Après Ed Wood Jr, les éditions Capricci continuent leur exploration du monde bizarre et terrifiant de la série B, en donnant cette fois la parole à l’inénarrable William Castle. Figure incroyable d’un cinéma de forain, de bateleur, William Castle est bien connu des amateurs de Joe Dante puisqu’il lui a inspiré son splendide Panic sur Florida Beach, qui demeure un des plus beaux films jamais tournés sur le cinéma.
Personnalité unique dans l’histoire du cinéma, Castle possède le génie du truc, du gimmick, de ce qui différenciera son film de celui des autres – quitte à sortir de l’écran et à pénétrer dans la salle. Et des idées, William Castle en a à foison : assurer ses spectateurs contre la mort de peur, rembourser leur billet aux personnes qui ont trop peur pour voir la fin du film (moyennant tout de même une « déclaration de lâcheté »), créer des lunettes spéciales permettant de voir les fantômes invisibles aux spectateurs aux yeux nus ou provoquer Adolf Hitler par télégramme pour assurer la promotion d’une pièce… Doué d’une créativité de publicitaire sous amphétamines, Castle a laissé un legs d’idées spectaculaires, parfois un peu ringardes, parfois follement audacieuses. Il a également laissé une filmographie bis à l’avenant : entre navets et classiques. Mais là où il rejoint Wood, c’est dans une passion enfantine, à l’enthousiasme sans faille, pour la noble tâche cinématographique qu’il s’est fixée : foutre la trouille à son public. En cela, ce sont deux cinéastes bis emblématiques.
Tout n’est pas gimmicks
Aussi est-on passablement surpris de lire le début de Comment j’ai terrifié l’Amérique : les premiers pas de William Castle le portent à Hollywood, où il va côtoyer de près Harry Cohn, le patron de la Columbia. Rédigée par les soins de Castle lui-même, sa biographie fourmille d’anecdotes faramineuses, de moments improbables – on se prend à soupçonner le cinéaste de se laisser aller à son penchant naturel pour la haute exagération. Sorti de cela, pourtant, le témoignage passionne : dans la confrontation entre un grand patron hollywoodien de l’âge d’or et un jeune cinéaste un peu trop sûr de lui, c’est toute une époque qui reprend vie – et peu importe si on a retouché un peu la vérité. C’est Hollywood, après tout !
Comment j’ai terrifié l’Amérique se découpe en plusieurs parties, parfaitement hétérogènes : la première, la plus longue, est consacrée aux années Columbia. Celle qui se penche sur les années de William Castle tel qu’on le connaît, en cinéaste à gimmicks, vient après. Plus attendue, elle réjouit évidemment le lecteur qui assiste à la naissance des idées les plus farfelues de Castle – à la limite, cela est-il le moins intéressant du livre, Castle restant centré sur sa propre histoire, ses propres idées et ambitions, ses propres déboires aussi (il faut voir comment il raconte qu’un caillot de sang lui a donné l’idée de mieux rythmer ses films !).
De l’épouvante qui a dû saisir ses collaborateurs à l’annonce d’une nouvelle idée délirante, on ne sait rien. Et pourtant, Castle devenu producteur (pour Rosemary’s Baby en tout premier lieu, mais pour Shanks avec le mime Marceau également…) donne encore à lire des pages absolument passionnantes, notamment sur l’aventure formidable vécue avec Roman Polanski. Le plus touchant restant Shanks, où Castle voyait très grand – comme toujours –, Marceau plus grand encore, et où les deux se rendent finalement compte, avec une douce amertume, que le résultat est bien loin de ce dont ils rêvaient.
À lire les dernières pages, consacrées à la production par William Castle du très ringard Les Insectes de feu, on trouve un résumé de ce qui rend l’homme attachant : cette inébranlable foi dans la puissance du cinéma de fête foraine, une conception finalement assez innocente de son art, et qui, confrontée à certaines réalités, regimbe avec une ingénuité touchante. Avec William Castle, Capricci poursuit son exploration d’une autre idée du cinéma : d’Ed Wood à William Castle en passant par Joe Dante ou le Steven Spielberg des premières années – un cinéma certes plus naïf, mais tout aussi vrai et vital.