Une nouvelle fois chaperonné par Jean-Pierre Dionnet, qui signe la présentation de chacun des films, l’éditeur Elephant Films sort ces jours-ci trois westerns en édition Blu-Ray/DVD. Trois œuvres pour autant d’approches et d’univers esthétiques, qui font qu’il serait inutile de chercher à déceler dans ces sorties conjointes un fil directeur unissant les différents récits. C’est au contraire une invitation à repenser aujourd’hui ce que fut le genre, au fil des ans et des cinéastes, comme autant de rameaux issus d’une famille commune qu’est le Western.
La Caverne des hors-la-loi, William Castle, 1953
Dans l’ordre chronologique, intéressons-nous dans un premier temps à La Caverne des hors-la-loi, réalisé en 1953 par William Castle, cinéaste culte spécialisé dans les séries B horrifiques. À ce titre, nous ne saurions que trop vous recommander la lecture de son autobiographie éditée en France l’année dernière chez Capricci, et sobrement intitulée Comment j’ai terrifié l’Amérique. La Caverne des hors-la-loi relate l’histoire d’un braquage de train qui a mal tourné, contraignant les bandits poursuivis par les autorités à se réfugier dans une grotte avec le magot. Mais dans la confusion des coups de feu, un des malfrats, avant d’être abattu, a pris soin de cacher le magot dans l’immensité labyrinthique de la caverne, sans que personne sache où exactement. Seul rescapé parmi les bandits, un très jeune garçon est arrêté et incarcéré pour quinze ans. Revenant dans les entourages de la grotte dès sa sortie, il devient le centre d’attention de tous les habitants de la petite ville à proximité qui considèrent qu’il est le seul à savoir où se trouve le magot et qu’il s’en emparera à la première occasion venue.
Si le genre western a souvent eu à voir avec le mythe de l’Amérique, avec les grands espaces et la terre promise, tout cela reste secondaire chez Castle. Le cinéaste préfère au contraire prendre le contrepied de la profondeur de champ vue comme la promesse d’un éden abondant, au profit d’une profondeur cette fois souterraine. C’est cette grotte, qu’on croirait sortie d’un film de science-fiction, qui fournit le décor magnifique et mystérieux du film. Bien qu’ancré dans une époque, ce cadre semble comme décentrer le récit dans un espace-temps indéfini. Alors que le western nous propose de grandes chevauchés dans les étendues, les différents personnages avancent ici pas à pas, précautionneusement, au sein d’un relief souterrain escarpé, comme dans un labyrinthe. Mais outre ce mystère inhérent à la singularité du décor, la copie magnifique qui nous est proposée en Blu-Ray rend parfaitement justice à l’utilisation des couleurs, à travers non pas les éclairages, mais via le choix des costumes et accessoires. Filmé en 1.37, et ne s’aventurant, comme nous l’avons dit, que très rarement au sein des paysages, Castle a le don pour disposer au sein d’un cadre resserré des couleurs à même de créer des contrastes francs, générant une expressivité frontale, tel un primitif qui se refuse à diluer son récit dans la profondeur de champ.
Le Survivant des monts lointains, James Neilson, 1957
Le Survivant des monts lointains est d’une certaine façon le plus classique des westerns proposés. Réalisé par un certain James Neilson, plus habitué à la télévision, le cinéaste quittant un temps le petit écran semble se délecter de disposer d’un format 2.35:1, d’un cadre qui lui permet d’avoir recours à un éventail de possibilités visuelles plus riches que l’austère carré télévisuel. Sans toutefois se livrer à une débauche visuelle, le cinéaste fait preuve d’une parfaite maîtrise dans son utilisation de l’espace, dans la mise en valeur de paysages automnaux absolument sublimes, dans son agilité à convoquer et à diriger plusieurs personnages au sein du cadre, ou à trouver l’angle juste afin de créer tension et suspense. Le récit s’inscrit dans une trame assez courante dans le western, celle du grand frère tentant de ramener dans le droit chemin son cadet adroit de la gâchette. Le conflit fraternel a pour cadre ici les difficultés qu’éprouvent les compagnies de chemin de fer à implanter cette révolution technique au sein de l’immensité nord-américaine. Les malfrats, se détournant des braquages de banques traditionnels, se plaisent à attaquer les trains lorsque ceux-ci transportent les salaires des ouvriers qui œuvrent à l’implantation de ces lignes de chemin de fer. L’argent de la paie, intercepté par les bandits, n’arrive jamais dans les poches des ouvriers qui menacent alors de tout laisser en plan.
Ainsi, la grande marche visant à l’édification du rêve américain, via l’implantation du chemin de fer au sein de son espace, est mise à mal par ceux qui, hors-la-loi, c’est à dire extérieurs à la communauté, n’accordent aucune importance au devenir commun. Si Grant McLaine, le personnage incarné par James Stewart, a fait partie de ses ouvriers, son petit frère a, contrairement à lui, choisi le camps des hors-la-loi. Et tout le dilemme réside dans cet entre-deux, puisque lors d’une échauffourée avec les criminels, McLaine laisse volontairement partir son petit frère pour l’empêcher de tomber aux mains des autorités, ce qui lui vaudra d’être exclu de la compagnie qui gère la pose des rails. La morale de la famille et celle de la communauté entrent donc en conflit.
Fureur apache, Robert Aldrich, 1972
Enfin, le dernier des films proposé est Fureur apache, avec Burt Lancaster, réalisé par Robert Aldrich en 1972. Le film est ici présenté en deux versions, une version originale montée par Aldrich, proposée dans une copie Blu-Ray moyenne, et une autre montée par Lancaster, quant à elle uniquement dans une copie DVD franchement médiocre. Ce dernier montage est plus frontal, axe avant tout son attention sur l’exposition des faits via notamment les dialogues, là où Aldrich se donne une certaine distance qui lui permet de créer une forme de musicalité tragique plus ample.
Le film relate l’histoire de l’évasion d’une réserve d’un chef apache, en compagnie de plusieurs de ses hommes et de son fils. Dès la nouvelle connue, l’armée américaine met tout en œuvre pour le retrouver, redoutant les exactions que ces fuyards pourraient commettre sur les fermiers et sur tous ceux qui en général croiseraient leur chemin. Pour ce faire, l’état-major fait appel à un certain McIntosh, interprété par Burt Lancaster, qui, sans être véritablement un soldat de l’armée régulière, a l’expérience de ce genre de situation, connaît le terrain, tout en étant capable d’une approche psychologique qui lui permet d’analyser les mobiles et les différentes manœuvres qui vont guider la marche des Apaches en fuite. Intégrant la section, il se retrouve sous les ordres d’un tout jeune officier sorti de l’école, qui vit là sa première véritable mission, et ainsi la possibilité de mettre en pratique ces théories idéalistes d’inspiration chrétienne souhaitant comprendre les Apaches, les considérer, pour mieux établir une paix commune et durable.
Mais le conflit ne se situera pas uniquement dans le cadre de l’affrontement Indiens/Blancs, mais au sein même de la troupe américaine, de par l’opposition entre le jeune officier idéaliste et le guerrier aguerri incarné par Burt Lancaster. Il est intéressant de remarquer que cette confrontation est assez finement menée, car elle ne dresse pas deux blocs face à face, mais est le fait de deux individus tentant de cohabiter pour le mieux, même si la surcharge émotionnelle consécutive au sentiment d’impuissance éprouvé face aux exactions commises peut faire monter le ton entre les deux hommes. Au début du film, ce sont plutôt les grands idéaux du jeune officier qui inspire sympathie, là où Lancaster choque dans sa façon de considérer qu’il n’y a rien d’autre à attendre des fugitifs que viols, meurtres et destructions. Mais au fond, la froideur dont il fait preuve n’est pas celle de la brute ou de l’indifférent, mais celle de quelqu’un qui se tient à l’écart des enjeux politiques et idéologiques, et dont le but est d’œuvrer de façon purement pragmatique à ce que le moins d’atrocités possibles soient commises des deux côtés.
Confrontés à la dure réalité, les grands idéaux du jeune officier voleront rapidement en éclats, ce qui l’amènera sur le coup de la colère à des attitudes et des propos uniquement dictés par le ressenti haineux. Cette haine prend forme au contact des violences perpétrées par les Indiens, mais aussi face au constat que cette violence sadique s’empare de ses propres hommes, réduisant à néant ses schémas civilisation/barbarie et l’ensemble de ses théories abstraites. Car sous les discours bienveillants du jeune officier à l’encontre des Indiens ne se cache au fond que le désir d’œuvrer à leur conversion. Son projet vise à substituer son nomos à celui des Apaches, et son ambition égalitaire ne peut passer que par l’anéantissement de ce qui constitue le socle civilisationnel propre à cette tribu.
Ce désir de compréhension finalement si ambigu, Aldrich choisit au fond de s’en méfier en posant sa caméra du côté des Blancs durant tout le film, ne cherchant pas ainsi à faire parler les Apaches ou à leur prêter des intentions trop précises. En dehors de quelques rares considérations émises par Lancaster et le guide apache qui aide la troupe américaine, difficile de connaître les tenants et les aboutissants des actions menées par les fuyards. La violence dont ils font preuve répond à une logique guerrière qui leur est propre, tout en ne servant jamais de prétexte au film pour justifier les politiques américaines à leur encontre.
La mise en scène et le montage effectué par Aldrich ne vont jamais dans le sens d’une traque conçue comme une aventure pleine de panache et de lyrisme. Malgré l’utilisation de quelques musiques conventionnelles allant dans ce sens, l’ensemble est avant tout assez lent et mortifère. On avance pas à pas, le regard et l’ouï aux aguets. La réalisation vise constamment à faire apparaître l’invisible, c’est à dire les Indiens, au sein du visible que sont les paysages, faisant de chaque bruit hors champ une indication ou le signal d’une atrocité à venir. Car outre la cruauté et les conflits de personnes, ce que raconte le film ce sont aussi les stratégies mises œuvre pour anéantir l’autre, la façon dont chacun pratique l’art de la guerre, la chasse à l’homme, à travers les ruses, les déplacements, la connaissance du terrain et des pièges que l’on souhaite tendre à l’ennemi. Sans doute une ultime tentative pour les Apaches de se réapproprier la Terre qui était la leur, c’est-à-dire de dicter une dernière fois la mise en scène, et ce au crépuscule de leur existence.