Au moment même où Monsieur Hulot retrouve une deuxième jeunesse grâce à la restauration des films de Tati entreprise par Les Films de Mon Oncle, il s’offre un passage réussi de la pellicule au livre qui ravira les « tatiphiles » les plus radicaux comme les plus jeunes lecteurs.
De sa formation de mime, Jacques Tati avait cultivé l’art de croquer les personnages en quelques gestes, deux ou trois attitudes et celui de dire sans parler. Aussi, n’est-il pas étonnant que le personnage de Hulot soit si à l’aise dans le monde en deux dimensions de ce livre illustré et sans texte. Un drôle de petit chapeau, une pipe, un imperméable chiffonné, un pantalon trop court, des chaussettes à rayures et un Solex : Monsieur Hulot quitte sa maison biscornue pour nous entraîner dans une traversée de Paris improbable et poétique.
L’astucieux système de double page à volet (reproduisant le plan large cher au réalisateur) plonge le lecteur dans l’univers de Tati et de son personnage emblématique. Une scène presque anodine se déroule sous nos yeux mais à l’ouverture du volet tout se transforme : Monsieur Hulot sort de son lit, appuie sur l’interrupteur et c’est le soleil qui se lève ; il arrête son Solex sur un tuyau d’arrosage et déclenche la fontaine ; il fait signe à son neveu Gérard et sème la panique sur le chantier… Rappelant par la même la définition donnée par Jacques Tati : « Hulot n’a pas besoin de gags […] c’est simplement un homme. Il n’a qu’à se promener dans des bureaux, dans des grands magasins. Il est la vie. »
Chaque page est l’occasion de nombreux clins d’œil aux six films qui ont jalonné l’existence cinématographique de Monsieur Hulot, à l’œuvre et à la vie de son créateur : Jour de fête (l’affiche, le manège…), Les Vacances de Monsieur Hulot (la raquette de tennis, le marchand de glaces…), Mon oncle (la scène du réverbère, la Chevrolet Bel Air 1957, la fontaine poisson…), Playtime (le nom d’un café, les appartements vitrines…), Trafic (le camion Altra, le carambolage…), Parade (le petit singe automate…) mais aussi la récompense cannoise, l’amitié avec Pierre Étaix etc. David Merveille en profite aussi pour glisser çà et là ses références personnelles, de l’Atomium de Bruxelles à Bob l’Éponge en passant par le Marsupilami et Benjamin Rabier.
En 1967, dans les colonnes du Nouvel Observateur, Jean-Louis Bory affirmait : « de l’œil, de l’oreille, de l’intelligence, du cœur : voilà ce qu’il faut pour rire à Tati. C’est évidemment exiger beaucoup. » À n’en pas douter, David Merveille dispose de chacune de ces qualités qui, ajoutées à son talent d’illustrateur, redonnent vie au plus génial étourdi du cinéma français. Le Jacquot de Monsieur Hulot, est un très bel hommage au « rêveur pointilleux ». À se procurer d’urgence.