Les pulsars sont des étoiles à neutrons nées de l’effondrement gravitationnel d’une étoile massive sur son propre noyau. D’une densité nettement supérieure à celle du soleil, ils tournoient très rapidement sur eux-mêmes, projetant une intense émission électromagnétique qui balaie l’espace à intervalles réguliers, à la manière d’un phare. Pulsar est aussi le titre d’un court-métrage de Katerina Thomadaki et Maria Klonaris et pourrait désigner plus largement la place qu’occupent les films expérimentaux au sein du champ cinématographique. Objets encore mystérieux, ils demeurent pourtant invisibles à ceux qui observent le ciel à l’œil nu. Ce ciné-club se propose ainsi de changer de longueur d’onde pour révéler l’éclat resplendissant de films invisibles ou disséminés secrètement sur Internet.
Depuis ses débuts au sein du collectif allemand de cinéma expérimental « Schmelzdahin » (du verbe schmelzen : fondre, dissoudre) jusqu’à ses œuvres signées sous son seul nom, Jürgen Reble travaille un imaginaire archaïque de la matière, inspiré par l’alchimiste Paracelse et le romantisme allemand, au moyen d’expérimentations chimiques, mais aussi bactériologiques, sur la pellicule de cinéma. Emprunté à une mythologie préchrétienne, le titre de son moyen-métrage Das Goldene Tor désigne le renouvellement du feu divin lors du solstice d’hiver. Composé de cinq parties, le film joue sur la répétition des mêmes motifs, où la décomposition plus ou moins prononcée de l’image entraîne l’apparition et la dissolution des figures, explorant du même coup le processus naturel de destruction et de création.
En mêlant plans documentaires, images microscopiques de la vie cellulaire, films animaliers ou encore reconstitutions de phénomènes cosmiques, le cinéaste inscrit l’échelle humaine dans un ordre qui la dépasse très largement. Le principe se traduit au montage par un ensemble d’analogies de formes et de mouvements par des associations de motifs circulaires – un tourniquet d’enfants avec des attractions foraines, un métier à tisser avec un vortex spatial –, mais aussi par des effets d’accélération qui fondent les vies humaines dans les flux urbains. Plus étonnant encore, ces différentes images s’incrustent régulièrement les unes dans les autres, comme dans un plan au début du film qui montre des silhouettes en train de faire du patin à glace. La surface blanchâtre offre à Reble une matière plastique idéale à ses expérimentations, où d’étranges formes surgissent de l’étendue gelée : deux cercles, qui évoquent d’abord des astres en orbite puis des cellules, au moment où l’un pénètre l’autre. Le cercle s’agrandit subitement, jusqu’à éclater dans l’entièreté du plan. Les composantes même du celluloïd semblent être prises dans l’explosion, lorsqu’apparaissent plusieurs corpuscules flottants, évoquant des globules sanguins, bientôt rejoints par un banc de poissons. Le plan d’origine, simple captation d’une activité humaine banale à la manière d’une vue Lumière, se voile d’une inquiétante mélancolie : sous les pieds d’un enfant qui joue au hockey, la matière du monde semble faire l’objet d’une transmutation aussi folle qu’étrangement harmonieuse.
L’évolution des titres des cinq parties éclaire l’horizon du film : d’abord guidés par l’ancrage temporel et géographique des prises de vue à la manière d’un journal filmé (« Freiburg, Oktober 1990 » pour la première), ils deviennent ensuite plus cryptiques (« Der Weg zum Licht führt durch die Finsternis » pour la quatrième et un mystérieux symbole pour la dernière). Cette progression s’accompagne d’une corrosion de plus en plus affirmée de la pellicule : les mêmes plans reviennent de façon presque méconnaissable, après avoir régressé vers des couleurs et des formes primitives. La temporalité humaine se dilue alors dans les forces archaïques terrées dans la matière argentique et révélées par les procédés chimiques de Reble. À ce titre, les dernières parties du film, davantage abstraites que les précédentes, semblent être complètement gagnées par ces puissances telluriques. Les mondes urbains, subaquatiques ou stellaires s’effondrent dans les ténèbres de l’image, réduits à l’état de fumée, de brouillard, d’étoilement ou d’effusion liquide, rendant indiscernable la différence entre les formes nées de la décomposition de l’émulsion et celles originairement imprimées sur le celluloïd. Das Goldene Tor repose ainsi sur une succession de métamorphoses jusqu’à ce que la pellicule entre en fusion à la toute fin, pour livrer autant un poème de la destruction rappelant La Nature d’Artavazd Pelechian qu’une odyssée de la matière, dont l’ampleur rejoint celle de Tree of Life.