Le film du mois n’est pas une sortie ni un titre méconnu (encore que) ; il est même, depuis l’automne dernier, le nouveau roi du classement décennal des « meilleurs films de tous les temps » qu’organise la revue britannique Sight & Sound. Que signifie la présence de Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles de Chantal Akerman au sommet de l’Olympe cinéphile ? D’autant plus lorsqu’on sait que les listes de ce type, et en particulier celles de Sight & Sound, participent indirectement à la cristallisation d’une histoire figée et d’un goût quelque peu « officiel » ? Cette question, Alexandre Moussa la pose au sein du long texte qu’il consacre à Jeanne Dielman et entrouvre de nombreuses portes d’entrée pour mieux habiter ce film imposant, voire, de loin, un peu effrayant. Si nous accordons autant de place au film, c’est non seulement parce que nous le pouvons (la force d’une revue numérique tient à son élasticité, à sa capacité à accueillir des textes de tailles et de formats parfois hors normes), mais aussi peut-être parce que la chose s’imposait pour rendre compte de la manière dont Akerman s’est libérée d’un certain nombre de diktats.
Le reste des textes que nous avons choisi de mettre en avant ce mois-ci témoigne par ailleurs d’une volonté, après un début d’année tonitruant, de privilégier une « actualité » inscrite dans un passé proche ou lointain ; d’appuyer momentanément sur les boutons « stop » et « rewind », en amont d’un mois de mai qui sera quant à lui dominé par le Festival de Cannes. C’est l’occasion de revenir sur le tout premier film de John Carpenter, Dark Star, pour se demander quels seraient les héritiers de son cinéma ; de se replonger dans la forêt cauchemardesque de Charisma de Kiyoshi Kurosawa ; de réarpenter les plages de Remorques de Jean Grémillon. Nous rebondissons enfin sur les plus récents Aftersun de Charlotte Wells et Tàr de Todd Field, qui partagent, au-delà de leurs nombreuses différences, une manière commune – et discutable – de tabler sur le hors-champ et la fragmentation du montage pour ménager une complexité de façade.