À l’occasion de la sortie en DVD et Blu-ray de sept films de Jacques Perconte aux éditions Re:Voir et du dossier que nous consacrons à son oeuvre, nous nous sommes entretenus avec le vidéaste dans ses bureaux de l’ENS-Louis Lumière, où il accompagne désormais les étudiants de troisième année.
La sortie du DVD Corps, regroupant snsz, isz et uaoen, nous donne l’occasion de revenir sur la série de films qui ont amené Jacques Perconte de l’image du corps au corps de l’image. Dans snz, la lumière rouge des deux corps qui s’entrelacent se mélange au jaune et au vert générés par la saturation, tandis que le son d’un ébat amoureux amplifie l’érotisme des images. Les amas de pixels qui s’attirent ou se séparent posent ainsi les jalons de l’œuvre composite de Jacques Perconte, entre expérimentation numérique et exploration des corps et des décors. isz se compose quant à lui de scans de pétales de roses animés et s’approche du corps végétal, qui reviendra à de nombreuses reprises dans les films suivants. Dernière pièce du DVD et premier film de Jacques Perconte consacré au paysage, uaoen propose quant à lui un voyage à partir d’une caméra placée à l’avant d’un véhicule pénétrant la profondeur de l’image, avant que celle-ci ne disparaisse ensuite sous des amas de pixels. Cette virée inédite vers le paysage s’accompagne d’une exploration de l’espace partant du réel pour atteindre une abstraction picturale, reflétant les deux faces – documentaire et expérimentale – du travail du cinéaste.
Sur le Blu-ray Paysages, uishet prolonge le mouvement d’uaoen et en transpose le dispositif sur une barque suivant le courant d’Huchet, entre l’étang de Léon et l’océan Atlantique. Alors qu’uaoen débutait sur une autoroute grisâtre et angoissante, uishet détonne par son ancrage bucolique propice à l’onirisme. Plus que son double merveilleux, uishet constitue l’aboutissement de la recherche picturale amorcée dans le premier film. Le foisonnement de la végétation s’accompagne de celui de milliers de pixels colorés, qui intensifient le plus infime des changements graphiques. Après le feu, l’un des films de Perconte les plus vus et étudiés, prolonge lui aussi le dispositif d’uaoen et d’uishet en prenant place à l’avant d’un train en Corse, non loin d’Ajaccio. Comme nous l’évoquons dans notre analyse, le film vient ajouter aux œuvres précédentes de Perconte une vitesse lui permettant de synthétiser par la compression le présent et le passé d’un lieu hanté par les flammes. Impressions retrace de son côté le parcours des peintres impressionnistes. Les chapitres révèlent la dimension profondément intime et spirituelle du film, l’un de ses plus beaux de Perconte, qui prend la forme d’une série de panoramas dont les couleurs et les mouvements résistent au passage du temps. Enfin, Chuva, quatrième et dernier film du Blu-ray, synthétise la fascination du cinéaste pour les phénomènes météorologiques et les paysages majestueux, et marque le début d’une série de films réalisés sur l’île portugaise de Madère, dont nous étudions ici une partie.
Notons également qu’à l’occasion du dossier que nous lui consacrons, Jacques Perconte a mis gratuitement à disposition son film Ettrick. Tourné dans les borders en Écosse et achevé en 2015, sa richesse plastique (cf. notre analyse) illustre toute l’assurance technique du vidéaste, qui serait désormais, selon ses propres mots, « en pleine maîtrise de ses moyens ». En attendant peut-être un premier long-métrage ?
Corps
D’où vient votre attrait pour les corps en mouvement, qui donne son titre au DVD ?
J’aime énormément la plasticité du corps et j’ai été à un moment très intéressé par l’érotisme. Cela tient aussi à ma formation classique aux beaux arts, au cours de laquelle j’ai souvent eu l’occasion de travailler sur des nus. Lorsque j’étais encore au lycée, ma mère m’a inscrit aux cours du soir et j’ai pu y dessiner et peindre beaucoup de modèles différents. C’est par là que j’ai commencé ma pratique artistique. À partir de 2003, le paysage a toutefois pris le pas sur le corps.
Le DVD est intitulé Corps mais seul le premier film en comporte.
Les trois films du DVD résument en fait la transition de mon travail, qui est d’abord parti du corps avant d’arriver au paysage. snsz est mon dernier film principalement centré sur les corps et appartient à une série de « films rouges ». J’aurais pu en mettre davantage sur le DVD mais je ne voulais pas non plus surcharger le support. Ces trois films sont tous centrés autour d’une matière : l’image du corps avec snsz, le corps de l’image avec isz, puis le paysage avec uaoen. On pourrait presque dire que toute ma pratique vient d’un sujet en arts plastiques que j’ai eu en arrivant à la fac : « le corps de l’image et l’image du corps ». Je me suis focalisé sur cette question depuis vingt-cinq ans.
Dans snsz (images ci-dessus), la compression des images érotiques se révèle aussi importante que l’éclairage des corps. C’est un film très sombre dont le trouble vient aussi de la lumière.
Les corps sont en réalité découpés. J’ai fait beaucoup de compositing dans ce film, où je n’ai conservé que les parties lumineuses des corps. C’est comme si l’on partait de l’image très contrastée d’un corps et qu’on enlevait ensuite tout le noir.
C’était donc au départ une image totalement éclairée ?
Oui, même si elle ne l’était pas très bien car je suis assez mauvais en éclairage ! Il faut dire aussi que le film n’a pas été tourné en studio, je n’avais à ma disposition que très peu de moyens et une petite caméra en main. L’enjeu était de récupérer uniquement les hautes lumières des corps, toujours avec beaucoup de saturation, pour ensuite mieux les mélanger. On ne discerne finalement pas bien la différence entre les corps qui se touchent et ceux qui fusionnent. L’image a été en plus de cela compressée, refilmée sur une télévision, recompressée à nouveau, puis le noir a été redécoupé une dernière fois. Cela donne quelque chose de très brut pour avoir une contamination forte des corps entre eux.
Comment est né uaoen, votre premier film de paysage ?
Je l’ai pas tourné ! À l’époque je travaillais encore beaucoup sur le corps. Un ami était en train de préparer un disque et il était question que je fasse un film pour sa musique. J’étais moi-même en pleine remise en question sur l’objet de mon travail. Je lui ai prêté une caméra afin qu’il filme pour moi des images de paysages, faute d’avoir le temps de le faire moi-même – sans parler du fait qu’à cette période j’allais peu dans la nature. Il a mis sa caméra à l’avant de son camion et a filmé son trajet. Uaoen est ensuite devenu un film sur la disparition de la perspective, sur l’aplatissement de l’image et du retour à son corps initial (le plat).
L’idée de véhiculer vos plans est donc venue par hasard ? C’est quelque chose qui revient très souvent dans votre filmographie.
Oui, cela m’a touché tout de suite, même si c’est un attrait qui n’était pas au départ très conscient. Je pense qu’il y a peut être eu une influence directe ou indirecte des frères Lumière. Le mouvement de l’image m’a toujours travaillé, j’ai par exemple réalisé énormément de films de trains. Cette tendance doit être aussi liée à mes propres modes de déplacement. Je voyage beaucoup en train et je suis fasciné par les images qui défilent lors de mes trajets. En tout, j’ai dû emmagasiner des dizaines d’heures de vidéo ! Dès que je vois quelque chose qui me plaît lors d’un trajet, je le filme.
uaoen commence comme un film d’épouvante, avec cette forêt très inquiétante, puis la compression vient révéler l’aspect plus merveilleux de la forêt (images ci-dessus). À la fin, elle semble presque enchantée…
Le projet consistait à partir de l’image la plus horrible qui soit, la plus mentale. J’ai mis au début du film l’image à l’envers. On roule à gauche sur l’autoroute, quelque chose ne va pas. Je voulais un plan qui nous questionne immédiatement et vienne provoquer un mouvement de recul contrastant avec la musique très lancinante du film. Le son glisse et l’image repousse. Par la suite, lorsque l’on arrive sur les petites routes, on commence à avoir des images qui ralentissent. Pour parvenir à cet effet, j’ai fait tourner plein de logiciels sur l’ordinateur afin qu’il n’arrive plus à les lire. Ces images ont ensuite été filmées depuis un écran d’ordinateur orienté vers le bas afin que le point ne se fasse qu’en haut de l’image. Ça a été un processus très particulier. Je voulais proposer un voyage partant d’une image très synthétique à une image travaillée physiquement. À la fin, dans la forêt, on a l’impression que c’est l’image qui génère le paysage, et non l’inverse.
isz est un de vos films les plus abstraits, qu’avez-vous filmé pour obtenir ce résultat ?
isz est un film que j’ai réalisé lorsque j’ai rencontré Isabelle, qui a été ma compagne pendant quinze ans. Je lui avais offert des roses avant de récupérer quelques pétales que j’ai scannés. Je me suis dit que ça pourrait être beau de voir des fragments de pétales qui se déplacent, avec des taches et des flous qui se déchirent et se baladent. Ce que l’on voit ne se résume qu’à un scan conjugué à un peu de compression et d’animation. Le corps de la fleur et le corps de l’image se mélangent.
Ce qui est étonnant tient à ce que, pour la première fois dans votre filmographie, on se trouve face à un sentiment d’immensité alors même que ce que vous filmez est minuscule (images ci-dessous). Le film est un peu à part.
Je crois que c’est mon seul film véritablement abstrait. Je songe d’ailleurs à en refaire un bientôt ! Ce qu’il y a de particulier dans isz, et même dans snsz, c’est que j’ai réalisé moi-même la bande-son, alors que uaoen repose, comme pour la plupart de mes films, sur une collaboration. Je commence à m’occuper de la musique et de la bande-son avant les images, ce qui impacte ensuite la physicalité du film. J’ai récemment repris cette partie de mon travail pour ma trilogie Or / Our, dont j’ai réalisé la bande-son. Et peut-être que mes derniers films sont plus abstraits car je me suis justement remis à travailler sur le son. La bande-son me pousse probablement à orienter mon travail vers l’abstraction.
Votre attrait pour le paysage est-il aussi liée à votre formation en art ?
Cela vient d’abord de ma passion pour la peinture. J’aime beaucoup la peinture du XIXe et du XXe siècle, notamment les scènes de nature, comme celles que l’on retrouve chez Gustave Courbet. Mes peintures préférées sont ses Alpes suisses. J’aime aussi l’impressionnisme, même si je ne l’adule pas de façon inconsidérée. Il y a aussi Turner, Kandisky ou les peintres d’après-guerre. La nouvelle abstraction a aussi eu une influence très importante sur mon travail, même si cela ne se perçoit pas directement dans mes œuvres. Idem pour l’expressionnisme abstrait. Mais c’est en faisant uaoen que j’ai senti qu’il y avait immédiatement quelque chose de très fort dans la plasticité des images que je travaillais. C’était neuf et cette rareté d’images représentait une opportunité artistique exceptionnelle. Comme j’étais le seul à la saisir, je me suis dis qu’il fallait que je m’améliore. Ma démarche artistique devait être plus droite, plus carrée. Il était nécessaire que je choisisse un motif et que je le creuse pour parfaire ma technique picturale. À mon sens, ce motif ne devait pas être intimiste comme l’était le corps, et c’est là que le paysage s’est imposé. Je m’y suis engagé et dès uaoen je n’ai plus vraiment arrêté. Au fond je viens seulement de trouver ce que je cherchais à l’époque. Il m’a donc fallu quinze ans pour maîtriser mes outils et découvrir ce que ces paysages impliquaient. Mon prochain film fera peut-être 1h30 car je suis arrivé à un moment où je me sens en pleine capacité de mes moyens techniques.
Du lieu au montage
Comment choisissez-vous les paysages de vos films ?
Je suis constamment en repérage. Partout où je vais, je filme. Beaucoup de projets viennent par exemple de mes déplacements en festival, comme les films tournés à Madère ou en Écosse. Contrairement au cas d’uishet, où j’ai choisi le paysage, les autres viennent d’un contexte de voyage : ce peut être un paysage que j’aime visiter, comme la Corse pour Faust, ou un paysage que je découvre, que je traverse, etc. En ce moment j’ai envie de réaliser un film sur les Alpes car ça fait deux ans et demi que je les filme. J’aimerais aussi tourner en Islande. Il y a un enjeu important là bas, car l’Islande me semble toujours filmée de la même manière.
Cette volonté de filmer un lieu en opposition à l’imagerie à laquelle il est rattaché vous guide souvent ?
Il n’y a que l’Islande où c’est plus conscient. J’ai commencé à me dire que je voulais aller filmer là-bas à cause du rapport quasi alchimique qu’il y a avec la nature. L’Islande est un chaudron avant d’être une île filmée de toutes parts. Mais je pourrais tout à fait filmer un volcan à un autre bout du monde, dans l’Ouest Américain, à Saint-Hélène, etc. Il faudrait peut-être que j’y aille ! L’Islande a ensuite un côté magique : c’est la porte d’entrée du monde souterrain de Jules Verne.
Vous vous intéressez en effet aux phénomènes naturels : c’est le cas de Chuva, où vous captez une pluie brumeuse qui s’abat sur la côte.
Je tourne énormément et beaucoup de mes films n’étaient pas destinés à en devenir. C’est le cas, typiquement, de Chuva. Je suis arrivé à Madère pour un festival de cinéma et, une fois à mon hôtel, j’ai regardé par la fenêtre et j’ai remarqué que la vue changeait. Une fine pluie commençait à tomber et j’étais fasciné. J’ai pris ma caméra, je l’ai mise sur un pied, je l’ai installée sur un balcon puis je l’ai laissée là pendant une quinzaine de minutes. Il n’y avait donc au départ aucune intention d’en faire un film, simplement de filmer ce qui se passait. En rentrant à Paris, je savais que ces images allaient m’intéresser. En dérushant, j’ai vu le film. Je l’ai envoyé à Samuel André, un ami qui vit à Tokyo, et il a réalisé la musique. Chuva a ainsi été terminé en seulement quelques semaines.
Cela vous arrive-t-il souvent de découvrir un film a posteriori ?
Très souvent, c’est même ma façon de travailler ! Quand je pars en tournage, je ne sais pas ce que je vais filmer. J’ai seulement une vague idée de là où je veux aller. Je me laisse ensuite guider par les lieux puis je découvre le film au cours du montage. Ça m’arrive aussi d’aller retourner des scènes aux mêmes endroits après y être déjà passé. C’est le cas de la Normandie, que j’ai commencé à filmer en 2008 et que je continue toujours de visiter.
Quelles caméras utilisez-vous ?
J’en ai plusieurs : des appareils photos numériques, comme des Sony RX 100 ou un Sony RX 10, mais aussi une caméra Osmo et une Sony HD PXW-X160, qui a pour particularité de pouvoir déphaser légèrement les couleurs de l’image. J’ai un rapport très direct à l’optique car tout peut se jouer à la captation. Par exemple, il y a une scène de Faust que j’ai tournée après être allé à l’océan. Ma caméra était couverte de sel. Je ne l’ai pas nettoyée et ça a donné quelque chose d’assez étonnant dans les hortillonnages d’Amiens, avec des grains de sel sur l’objectif qui laissaient légèrement passer la lumière. La captation est donc le moment le plus important, le plus décisif. Je ne peux progresser dans la compression qu’à partir d’éléments que j’ai réellement filmés. Un chercheur, Vincent Sorel, se focalise sur cette dimension documentaire de mon travail. La question du rapport aux lieux est aussi primordiale. Je fais souvent des plans fixes à l’épaule qui durent une quinzaine de minutes. Il faut porter la caméra, sans pied, et tenir bon dans sa position. Toutes les scènes de tempêtes sont filmées de cette manière. C’est très éprouvant mais ça me permet de ressentir physiquement le lieu et l’espace. Je ne travaille pas à distance des choses, bien au contraire.
Qu’est-ce qui vous motive à choisir un cadre plutôt qu’un autre dans un même lieu ? La profondeur de champ, les lignes qui découpent l’image ?
Ce n’est pas forcément réfléchi, cela relève plutôt de l’instinct. Je pars souvent en tournage avec deux ou trois caméras, puis je choisis sur le moment. Parfois je me trompe, je fais des choses qui ne me plaisent pas, mais à l’arrivée je garde tout. Je décide seulement au montage ce que je conserve ou pas, car il est difficile de s’en rendre compte au tournage.
Paysages
uishet, le premier film du Blu-ray Paysages, reprend le dispositif d’uaoen, dans un équivalent plus fantastique, comme s’il s’agissait d’un film d’aventure où l’on s’enfonce dans une jungle en se laissant guider par une rivière (images ci-dessous).
uishet est le premier film de paysage que je décide délibérément de tourner : nous sommes allés, ma compagne et moi, sur les lieux après avoir contacté l’office national des forêts pour obtenir une autorisation. Même si ça a été un petit tournage, je regardais la météo, je me suis renseigné à l’avance, c’était assez préparé. Il y avait déjà alors l’idée d’en faire un film onirique.
On entend aussi des voix ! Ce qui est assez rare chez vous. Pourquoi les avoir gardées ?
Il y en a aussi au début d’Ettrick, même si ces voix sont brouillées par les bruits de la route. Dans uishet, on les entend en effet plus clairement. On revient à la dimension documentaire de mon travail, dans la manière de rapporter l’image d’un lieu, d’un instant. C’était ainsi important pour moi de garder le son dans ce film.
Le bruitage de la barque est aussi très important, comment avez vous travaillé le son de ce film ?
C’est ma compagne de l’époque qui l’a enregistré. C’est juste celui de la barque, sans modification.
Cela crée un décalage important à la fin du film, quand le son de la barque est très concret alors même que l’image devient de plus en plus abstraite.
Oui, je voulais garder cette impression de partir quelque part. Le son nous immerge par le bruit de l’eau dans un voyage immédiatement relié à la nature. Ce lien sans commentaire est difficile à trouver quand on explore la nature, car on passe notre temps à parler, à décrire, à exprimer notre attention à quelque chose dans l’espace. Cela peut créer un détachement où l’on pense à défaut de ressentir. C’était l’idée du film : jouer sur un détachement progressif avec la réalité de la nature pour mieux entrer dans la sensation.
Après le feu (images ci-dessous) reprend le dispositif de uaoen et uishet, mais cette fois ci à l’avant d’un train. Comment expliquez vous son succès ? C’est un film qui a été énormément vu.
Les films de train sont magiques ! Il y a des gens qui sont fans. Pour Après le feu, la magie ça peut aussi être Nicole Brenez ! Et dans les festivals, ces films sont un peu comme des boules de neige. Quand un film montre pour la première fois quelque chose de bien spécifique, le reste s’enchaîne assez naturellement. La plupart du temps, je n’envoie pas mes films aux festivals, mais celui-ci a été montré par le collectif Jeune Cinéma, notamment à Rotterdam, ce qui a permis ensuite sa circulation un peu partout. Je pense qu’Après le feu a permis l’apparition de ces techniques dans les festivals, alors qu’elles s’exprimaient jusqu’à alors dans un champ très marginal, comme le Monster Movie de Takeshi Murata, qui a peu tourné, ou au contraire très commercial, avec les clips de Kanye West et de Chairlift. Après le feu est par ailleurs un film très important car il répond à uaoen. uaoen brisait la perspective pour ramener l’image à son aplatissement, alors que dans Après le feu, la profondeur de l’image et les lignes de fuites sont indéniables. Elles sont revenues malgré moi : quelque chose transparaît dans les coulées verticales, qui rendent à l’image sa profondeur. Le film m’a fait prendre conscience que, dans la réalisation d’un film, toute tentative théorique de rapport à l’image est absurde, car tout peut potentiellement revenir ou nous échapper. Notre rapport à l’image doit être mental : il est lié à notre perception des images plus qu’à l’image elle-même.
Impressions découle de cette prise de conscience ?
Oui, la réponse a été de faire Impressions, qui n’est quasiment composé que de plans fixes. C’est d’ailleurs ce qui a inquiété mon producteur : que va-t-il se passer si je réalise un film avec des plans fixes alors que mon cinéma vient a priori du mouvement ? Impressions s’est finalement avéré être un travail d’introspection.
Si Impressions (images ci-dessous) fait partie de vos films les plus ouvertement orientés vers les paysages, la civilisation humaine y a aussi pourtant sa place. Comment abordez vous les paysages urbains et la présence de l’homme ?
L’urbanité est rarement présente dans mes films, mais Impression est un cas à part. C’est la réponse que je voulais faire aux nombreux commentaires concernant mon rapport à l’impressionnisme. Le point de départ a été de retourner sur le chemin des peintres impressionnistes, pour aller confronter mon travail aux points de vue de Monet, notamment sur les plans de Rouen. Je voulais retracer ce chemin et cette histoire picturale à laquelle on me relie, et qui s’avère finalement très loin de mon travail. L’impressionnisme s’en rapproche dans la perception ou dans le sentiment qu’on peut éprouver face à mes images, mais reste très éloigné d’un point de vue technique. J’ai filmé en somme le rapport particulier que Rouen entretient avec la nature. Il n’y avait pas de désir de ma part de filmer l’urbanité. Le film s’est révélé très personnel. J’y parle de mon rapport au temps, au tournage, de ma vie en général, sans que cela ne soit vraiment explicite.
On voit même votre propre ombre au détour d’un plan…
Oui, je suis carrément dedans ! Impressions tente d’évoquer notre place dans le monde : comment on se situe dans l’espace, comment on vit avec ce qui nous entoure. Le film aurait pu être plus long. Il y a beaucoup de choses qui n’y sont pas.
Après Impressions, vous avez réalisé une série de films à Madère. Quel effet cette île a‑t-elle eu sur vous ?
Comme il y avait beaucoup de matière sur cette île, j’ai abondamment tourné. Le lieu est magnifique et les hommes entretiennent un rapport très singulier avec la nature. Il n’y a que des cultures vivrières. Un film que je n’ai quasiment pas montré s’appelle Terra Campones et a une place très importante dans ma filmographie concernant Madère. Il y a des plans de paysans en train de travailler la terre qui se succèdent avant que le film ne se termine sur des plans de la mer. À l’époque, je n’étais pas satisfait de Terra Campones et je me suis dit que ce n’était pas ce que j’avais voulu faire. Une partie de ces images ont ensuite été reprises dans M, qui montre la trajectoire inverse : on débute par la mer pour finir sur les paysans.
Pourquoi avoir choisi d’intégrer Chuva (image ci-dessous) au Blu-ray plutôt qu’un autre film tourné à Madère ?
À l’origine, Pip Chodorov, qui s’occupe de Re:Voir, souhaitait que je fasse une édition DVD/Blu-ray dont les contenus seraient similaires. À titre personnel, ce sont deux formats que je n’aime pas particulièrement, car ils sont très maltraités aujourd’hui. Ils ne sont plus d’époque. Leur diffusion est souvent upscalée par rapport à la résolution de nos écrans. Je ne voulais pas mettre des films en basse résolution, même si uishet l’est. J’ai simplement choisi des films correspondant au support sur lequel ils ont été montrés à l’époque. Mettre seulement Chuva était une façon de montrer une suite chronologique des films présents sur le Blu-Ray. J’ouvre sur Madère, c’est une invitation à continuer le voyage entrepris…
La suite de cet entretien, consacrée à la pratique de la compression numérique et au travail théorique qui l’accompagne, est disponible ici.