Cette année, la compétition du Fifib mettait à l’honneur des cinéastes confirmés comme des noms encore inconnus au bataillon. Si les plus attendus ne se sont pas montrés à la hauteur des espérances, la section Contrebandes, qui met en avant des films sortant des schémas classiques de financement, accueillait quant à elle de belles découvertes. Qu’elle soit représentée au sein des films ou à travers l’âge des cinéastes, cette édition 2019 faisait la part belle à la jeune génération. Ce faisant, elle ouvrait une réflexion sur la difficulté du passage à l’âge adulte, la solitude à l’ère du numérique ou encore la complexité des relations amoureuses, en adoptant des formes souvent originales.
La mélancolie des avatars
Les Survivants de Nicolas Bailleul (Grand Prix Compétition Contrebandes), film expérimental sur le jeu vidéo, juxtapose ainsi images de synthèse et prises de vues réelles, mais aussi témoignages de joueurs et univers fictionnels. La confusion entre réel et virtuel, au cœur du film, s’y révèle particulièrement troublante lorsque le réalisateur cherche à déclencher un mode pluie après qu’un joueur lui a confié que sa mère l’empêchait de jouer par beau temps. Certains joueurs vont même jusqu’à choisir leur lieu de vie selon leur ressemblance avec certains environnements virtuels. Au-delà de la mélancolie qui se dégage des plans de vestiges sous-marins ou de forêts se détachant du ciel, Les Survivants ne manque pas d’humour. En témoigne la scène où l’un des joueurs fait l’idiot à travers son avatar, qui se met à ramper tel un serpent, bientôt suivi par ses camarades de jeu. De la même manière, si la présence récurrente d’armes et la méchanceté gratuite de quelques internautes témoignent d’une certaine violence, le jeu s’avère être avant tout un outil de rencontre propice à une exploration collective des mondes virtuels.
Les Survivants de Nicolas Bailleul
Malgré quelques stéréotypes éculés, William Laboury signe avec Yandere (mention de la Compétition française courts-métrages) une belle fable émancipatrice. Le film adopte le point de vue de la virtuelle Maïko, sorte de fée clochette 2.0, qui grandit et devient réelle sous le seul effet de la jalousie (son petit ami Tommy l’a quittée pour une autre fille). Son cœur, masse grouillante et informe, incarne alors littéralement l’idée d’un amour qui rend vivant. En dépit des larmes de la fée, le film ne renonce pas non plus à l’humour en affublant son personnage masculin d’un look prépubère ridicule. Si le film traite bien de la jalousie éprouvée par une femme, il parvient à dépasser le cliché de la rivalité féminine en faisant de son personnage une vengeresse libérant les yandere de leur cage de verre.
Quand amour rime avec humour
Dans L’amour du risque, où de jeunes hommes esseulés assistent à un séminaire sur l’amour, Emma Benestan aborde également avec humour la détresse sentimentale. Mélangeant techniques de relaxation, psychologie inversée et préparation physique, la séduction y apparaît à la fois comme un secteur florissant et une véritable guérilla. Tandis que l’un des participants mise tout sur l’esbroufe et échoue à séduire une jeune femme, un autre y parvient en faisant preuve de cruauté. Ce film réalisé dans le cadre des ateliers 1000 visages (association œuvrant pour l’insertion professionnelle des jeunes éloignés de l’offre culturelle) séduit par sa touchante maladresse et la spontanéité de ses acteurs.
L’amour du risque d’Emma Benestan
Bangla, film écrit, réalisé et joué par Phaim Bhuiyan, s’inscrit plus directement dans le genre de la comédie romantique. Si le récit de ce fils d’immigrants bangladais, tiraillé entre le respect des traditions et son amour pour une italienne aux cheveux bleus, en reprend les codes (voix-off distanciée, amants que tout oppose, course folle), le film surprend par sa liberté de ton. Le réalisateur pose sa caméra à Torpignattara, le quartier populaire et multiculturel de Rome dans lequel il a grandit, pour réaliser une satire sociale féroce où hipsters, vieillards et bangladais en prennent tous pour leur grade. Bien que les fluides (vomi, morve) qui se répandent lors des rendez-vous amoureux gâchent quelque peu la magie du moment, le film ne cède pas au cynisme et garde autant de foi en l’amour qu’en l’humour.
Presque rien
L’héroïne de Automne malade, court métrage de Lola Cambourieu et Yann Berlier, n’a quant à elle jamais vraiment connu l’amour. C’est l’un des nombreux soucis de cette jeune femme qui, en plus de ne pas avoir d’amis et de détester son propre corps, fait face à la mort de sa mère. Partie de Paris pour réviser le concours de l’ENA dans le Cantal, elle fait la rencontre de Momo, qui apporte un peu de légèreté dans son existence. Elle noue avec cet homme plus âgé, qui semble prendre la place d’un père ou d’un amant, une relation pour le moins troublante. Plus confondant encore est le caractère fictionnel du film, tant le personnage de Milène, accompagné d’images d’archives de l’actrice qui l’incarne, semble vrai. La pureté de cette inadaptée au monde bouleverse, de même que ses yeux grands ouverts, signes d’une grande attention à l’autre et au monde qui l’entoure.
Automne Malade de Lola Cambourieu et Yann Berlier
Dans Un Adieu, où un père aide sa fille à déménager à Paris, Mathilde Profit réussit à capter des sentiments ténus avec autant de subtilité. La moue dégoûtée de la jeune fille lorsque son père l’invite à déjeuner sur une aire d’autoroute, de même que l’arrivée en vélo d’une propriétaire au look étudié, contrastant avec leur camion et leur tenue décontractée, souligne la distance qui sépare Paris de la province. Ce déchirement silencieux, qui est aussi celui d’une séparation entre un père et sa fille, est donné à voir dans une scène presque anodine : après s’être dit au revoir, Mathilde adresse un timide geste de la main à son père, l’air de rien. C’est par de brefs regards et de micros gestes que la cinéaste parvient à signifier l’excitation mêlée d’inquiétude qui surgit au passage vers la vie adulte.
Dans Adolescentes, l’un des plus beaux films de la compétition internationale, Sébastien Lifshitz aborde également le passage à l’âge adulte en filmant deux adolescentes brivistes durant 5 ans : Emma, issue d’une famille aisée, et Anaïs, qui vient d’un milieu défavorisé. Le décalage entre la démesure du dispositif (qui rappelle les expériences de Richard Linklater dans la trilogie des Before ou Boyhood) et la discrétion du cinéaste, qui atteint une grande proximité avec ses actrices tout en restant invisible, est impressionnant. Le documentaire prend parfois des accents fictionnels à travers les séquences de comédie musicale ou la trajectoire d’Anaïs, digne d’un mélodrame (elle fait face à une rupture amoureuse, au décès de sa grand-mère et à l’incendie de sa maison avec une résilience remarquable). Situé dans la France des attentats puis des élections présidentielles, Adolescentes navigue habilement entre l’intime et le politique, la légèreté et la gravité. C’est avec une grande délicatesse qu’il capture ce temps des premières fois (celui de l’éveil à la sexualité, de la séparation avec les parents, du choix d’un avenir professionnel), résumant presque à lui seul les enjeux indissociables de cette jeunesse parcourant les films de la sélection.