Festival militant et cinématographiquement exigeant, la dernière édition de Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, intitulée « Media Crisis » témoigne des exigences d’une programmation comme du temps nécessaire pour mettre à plat une autre manière de voir.
Au risque de dérouter et de dérégler l’emploi du temps de ses fidèles, le Festival a allégrement montré que la normativité médiatique est d’abord affaire de temps disponible. Présenter la quasi-intégralité des œuvres de Peter Watkins qui sait faire fi de la durée moyenne exigée par l’industrie cinématographique (3h30 pour La Commune (Paris, 1871) réalisé en 2000 et 4h30 pour Le Libre Penseur réalisé en 1994), offrir la projection sur grand écran des incursions télévisuelles de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville, Six fois deux. Sur et sous la communication (qui remplissent trois demi journées), et réunir d’innombrables courts métrages d’actualités d’hier et d’aujourd’hui dans la lignée du Newsreel(s) : sont trois manières efficaces de reprendre au compte du Festival et de son îlot médiatique le constat de départ des émissions de Jean-Luc Godard. À travers les douze émissions co-écrites avec sa compagne, ce cinéaste-pédagogue souhaitait que la prétention de la télévision à relayer le quotidien (problèmes et interrogations socio-économiques, donner la parole aux citoyens, rendre compte du déroulement du quotidien) soit toujours un projet noble et viable.
Ce projet est autant l’affaire de choix politique (culturel) et d’individus cinéastes que celui des spectateurs qui devraient accepter de prendre leur temps et d’éteindre leur téléphone portable. Pour pasticher le dernier ouvrage de Charb, dessinateur et rédacteur en chef de Charlie Hebdo, on pourrait dire que tous ceux convaincus du sens des images pourraient clamer ensemble : « Je hais les zappeurs et les impatients » qui n’ont pas encore compris que la résistance cinématographique et l’exception culturelle du 7ème art est autant affaire d’endurance que de sens. Cette résistance se trouve en un lieu, un espace, quelque part entre les logiques (antagonistes ?) du trop-plein de parole de la mystique et du trop peu de parole de l’interné volontaire interviewés par Godard et Miéville pour conclure en images leurs expériences…
S’il ne faisait immanquablement pas bon être journaliste à la table ronde d’inspiration bourdieusienne « Médias et politique » où Acrimed était représenté, le Festival a souligné l’ampleur de l’ignorance (et de la désinformation) du citoyen en ce qui concerne « la Fabrique de l’information ». La projection de 1974, une partie de campagne (Raymond Depardon, 1974), s’acharnait, entre autre, à démasquer d’autres images comme à lever le doute sur toute objectivité liée à la captation du réel, ce mensonge tenace qui est aussi l’ennemi acharné de nombreux films de fiction : La Dame du vendredi (Howard Hawks, 1939), L’Homme de la rue (Frank Capra, 1941), La Cinquième Victime (Fritz Lang, 1956) ou le méconnu Viol en première page (Marco Bellocchio, 1972). « Fiction de gauche » selon la typologie de l’époque, ce dernier film refuse le happy-end final et ainsi l’espoir, pour illustrer le basculement de régime de nos médias occidentaux…
Cette édition a célébré avec fougue la force du cinéma pour dénoncer la télé-réalité (The Gladiators (Peter Watkins, 1969), Kika (Pedro Almodovar, 1993)…) et mettre en scène le doute et le manque au sein des images : Blow Up (Michelangelo Antonioni, 1967), Le Tombeau d’Alexandre (Chris Marker, 1992)… Symptomatiquement, les choix de films qui mélangent la vidéo ou le numérique à la pellicule ne furent pas toujours convaincants en terme de réflexions médiatiques : le juvénile Greetings (De Palma, 1968), bien que passionnant en ce qui concerne la généalogie traumatique de l’assassinat de Kennedy sur la société américaine, selon la thèse habile présentée par Jean-Baptiste Thoret, et le lamentable New Rose Hotel (Abel Ferrara, 1998).
Cette septième édition du Festival de Saint Denis Est-ce ainsi que les hommes vivent ? a été fidèle à sa vocation pédagogique autour du cinéma et de l’image. Elle a admirablement montré qu’en cette période qui ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur la confusion qui règne autour de la fabrique et la neutralité de la représentation du quotidien et de l’information, il s’agit d’opposer au mensonge de cette prétendue neutralité, une réflexion sur le sens de la désinformation et de la culture comme enjeux de résistance cinématographique.