Du 7 au 13 février, le cinéma L’Écran de Saint Denis ouvre la septième édition de l’un des derniers festivals militants d’ampleur en région parisienne. « Est-ce ainsi que les hommes vivent ? » dénonce le gouffre médiatique et donne raison et foi à la résistance cinématographique.
Le programme du Festival se présente sous l’égide critique de Gilles Deleuze qui définit la poétique cinématographique contre la spécialisation de la fonction sociale, le mythe de l’urgence et du direct de la télévision. En l’absence de référence aux travaux sociologiques sur les médias de Pierre Bourdieu, auquel Pierre Carles, présent sur le Festival pour présenter Juppé forcément (2007, inédit), avait consacré un documentaire (La sociologie est un sport de combat, 2001), la mise en avant du philosophe démontre la sagacité d’une programmation convaincue qu’un seul média, le cinéma, peut encore critiquer le système des images par des images ! En fait, il ne s’agit pas seulement d’opposer des mots aux images mais bien de défendre la théorie et la présentation des images cinématographiques contre les flux des images de télévision qui menacent le silence et érigent un langage d’autocensure. Placé sous le signe du Britannique Peter Watkins, dont les films sont enfin partiellement disponibles en DVD, le Festival emprunte son titre à un de ses pamphlets : Media Crisis, La Crise des médias, 2003. Ce livre professe des critiques déjà visibles dans ses films avec la représentation des dérives populistes et la logique mortelle qui président aux jeux de massacre d’un principe de télé-réalité relayé mondialement depuis (Les Gladiateurs, 1969 ; Punishment Park…). Pas besoin d’un point de vue critique sur le cinéma, alors ? L’intégrale Guy Debord se fait l’avocat du diable du Festival en élargissant le plus possible sa définition du cinéma dominant…
Quelle qu’elle soit, la Résistance (culturelle), apprend toujours de sa généalogie qui lui permet de prendre conscience des tentatives et des réussites précédentes. C’est ainsi que les hommes ont d’abord vécu dans un temps où la télévision pouvait être synonyme de réflexion et de recherche esthétique (les trop rares programmes de télévision Six fois deux de Jean-Luc Godard et Anne-Marie Miéville, 1976). Vraisemblablement aussi peu connu, cet héritage a perduré, avant de rendre l’âme, dans les années 1980, grâce aux essais de Philippe Grandrieux (Le Labyrinthe ; Le Temps, la Mémoire, les Images ; Le monde est tout ce qui arrive ; Le monde est une image). Dans le sens inverse de cette pédagogie de l’image, du cinéma investissant la télévision, tout un pan du cinéma est revenu à un principe sensé lui être cher : le devoir de communication et d’information des actualités qui fut trop vite abandonné par la fée du logis de nos démocraties. Les films du collectif Newsreel aux États-Unis (Off the Pig, Black Panthers…) témoignent de ce cinéma qui se veut relais des carences du petit écran.
Cette programmation éducative sait aussi être fidèle à la force cinématographique de l’identification et de l’humour avec le choix heureux de films narratifs qui mettent en scène le cynisme de l’encadrement médiatique : c’est l’outrance du personnage de la présentatrice de Kika (Pedro Almodóvar, farouche opposant aux méthodes du petit écran qu’il détourne dans plusieurs de ses films) ; ce sont les chasses à l’Homme de Reporters (Raymond Depardon), de La Cinquième Victime (Fritz Lang), de Greetings (Brian De Palma) et de La Dame du vendredi (Howard Hawks) ou les hallucinations du patron de Videodrome (David Cronenberg)…
Ainsi, ce festival réjouira tous ceux encore capable de « pleurer en réalisant que deux images accolées l’une à l’autre pouvaient faire émerger un sens » alors qu’aujourd’hui « il n’y a plus de sens et plus personne ne pleure » (d’après le souvenir de la voix-off du narrateur du documentaire poético-biographique Le Tombeau d’Alexandre de Chris Marker).