Jimmy P. (sous-titré « Psychothérapie d’un Indien des plaines » d’après l’ouvrage original) marque le retour d’Arnaud Desplechin sur la figure de Georges Devereux, déjà librement esquissée dans Rois et reine où le thérapeute de Mathieu Amalric, bien qu’incarné par une femme noire, prenait le nom de l’anthropologue. Inversion des rôles : le Blanc reprend la panoplie du savant – littéralement, Devereux se voit offrir par son amante un déguisement de Sigmund Freud – et l’autre (pas d’amalgame douteux : seulement tous deux reflètent Amalric sous la forme d’un grand autre, d’une humanité inconnue) celle de son patient : un Amérindien somptueusement interprété par Benicio Del Toro, souffrant de migraines chroniques suite à une chute durant la guerre, migraines qui s’avèreront bientôt d’origine psychiatrique.
Quand on connaît le goût du cinéaste pour la psychanalyse, tout semble réuni pour que, grossièrement, Desplechin fasse du Desplechin. Pourtant, Jimmy P. a été tourné en anglais, ce qui limite son affection proverbiale pour la littéralité du texte. Surtout, difficile de ne pas remarquer chez lui une franche volonté de dissimuler son empreinte, voire de changer de style. Grand basculement : Jimmy P. est tout sauf une œuvre chorale – plutôt précisément le contraire, en fait. Inféodé à la relation de deux hommes, il explore vers l’intérieur, le centre : leur passé, leurs rêves (où ils se trouvent souvent ensemble) forment un monde intime et secret, unique horizon de ce qui apparaît déjà comme un des films les plus minimalistes de son auteur. Son cinéma prend une inflexion plus timide, plus creusée, et met en sourdine l’exaltation autrefois incarnée par un Mathieu Amalric un peu obsolète dans cette nouvelle donne. On parlera certainement d’un virage académique, puisqu’il est facile de penser que Desplechin a l’âge pour ça, et que le film esquive effectivement plusieurs occasions de se mettre en danger. Pourtant, cet apaisement cache peut-être autre chose ; si Jimmy P. manque de tensions, c’est certainement aussi du fait de sa quête d’une sorte de clarté opaline : il y a dans ce couple une confiance intacte et candide, une idylle masculine bercée par l’exploration mutuelle, un mystère réciproque. Jimmy Picard et Georges Devereux nourrissent des liens secrets d’admiration. Benicio Del Toro épouse avec une douceur bouleversante l’infinie pureté de ces rapports. Une fièvre gagne le film au fil de ces entretiens quotidiens qui laissent peu à peu l’avantage aux séquences de souvenirs, de rêves, comme un effacement du réel devant l’imaginaire ; à mesure que l’« âme blessée » de l’Indien avance vers la guérison, Jimmy P. s’achève en s’éteignant, se dilue dans son rythme laiteux.
Singulièrement privé d’aplomb, de voltige, de franc volontarisme, il passera certainement pour mineur. À chaud, l’on ressent encore dans cette sédation une sorte de pudeur un peu sèche mais étrangement touchante ; c’est le temps de la digestion qui déterminera si cette bulle affective éclatera ou au contraire infusera dans le film.