« Un film dirigé par Arnaud Desplechin » nous dit le générique de fin. Que déduire de cette formulation ? Peut-être moins que le film organise un chaos (le style nerveux et pris sur le vif qu’il adopte) ou s’en remet à ses acteurs (dont les visages et les profils détonnent là aussi dans le cinéma de Desplechin) qu’il ne s’achemine, comme son titre l’indique, vers une direction bien précise, une lumière qui émergerait des histoires sordides racontées. Cette direction, il faut la ressaisir depuis son point d’origine. Roubaix, Une lumière s’ouvre sur une série de fondus mêlant différentes sources lumineuses, du halo mordoré des lampadaires aux décorations de Noël qui surplombent les rues. Le premier temps du récit est à l’aune de cette séquence introductive, en cela qu’il flotte d’une lumière à l’autre, par un récit survolant un ensemble d’affaires (un incendie criminel, un viol, un hold-up, la disparition d’une adolescente) sans se concentrer sur aucune en particulier. Ce flottement, qui se fait aussi de prime abord le signe d’un déracinement assez radical du cinéma de Desplechin, quand bien même le film s’ancre dans sa ville natale, se révèle a posteriori comme l’amorce d’une construction rythmique. Si le récit adopte initialement une forme aussi lâche que la caméra n’est chaotique (on s’étonne des scènes d’appréhension des suspects, où Desplechin opte pour une approche immersive, presque dans une perspective sensorielle), c’est pour mieux ensuite se concentrer longtemps sur une situation, décortiquée en détail.
On ne peut pas tout à fait nier que d’un point de vue dramaturgique le film finit par prendre – verbe qui lui sied assez bien, puisque ce qu’il tente d’accomplir repose sur une longue préparation. Les deux jeunes femmes suspectées de l’assassinat d’une vieille dame sont soumises à un interrogatoire minutieux, d’abord chacune de leur côté, puis ensemble, où il s’agit de procéder à un véritable accouchement de la vérité. C’est là que se ressent le plus nettement l’influence documentaire du film, qui s’appuie sur les confessions des deux femmes captées dans Roubaix, commissariat central de Mosco Boucault. Les policiers attaquent, font une pause, reprennent de plus belle, apaisent, chargent à nouveau (« Allez, il faut que ça sorte »), laissent reposer une nuit, puis poursuivent leur labeur. Car la vérité se travaille, comme la lumière n’émerge pas naturellement de la pénombre, il faut la faire sortir en ouvrant une brèche puis la polir, petit à petit. Drôle de film, qui joue habilement de ses différentes vitesses, sans tout à fait convaincre dans le détail de sa mise en scène, affaire d’atmosphère et d’ambiance, mais qui intrigue tout de même par le chemin tortueux qu’elle choisit de prendre pour mieux se trouver. La stratégie d’écriture repose aussi beaucoup sur une dépense d’énergie qui, à terme, permet d’extraire le suc d’un instant à même de donner toute sa substance au film, ici le champ-contrechamp final entre les deux suspectes. C’est une limite, ou du moins on est en droit de trouver plus limitée cette approche de la mise scène comme agencement de blocs au service d’une poignée d’instants, mais il faut savoir gré à Desplechin de s’être fait violence et d’être sorti d’une forme de routine quelque peu ronronnante. Reste que ce changement de cap s’avère un peu trop nettement mise en abyme, notamment dans la manière dont le film semble d’abord s’articuler autour d’un avatar despleschinien (le jeune lieutenant que campe Antoine Reinartz, qui écrit ses lettres dans une chambre où trône un livre de Levinas) pour mieux finalement graviter autour du Commissaire Dahoud (Roschdy Zem), force tranquille, auquel le film réserve un assez improbable épilogue pseudo-fordien (Dahoud monte un cheval sous un crépuscule rosé), mâtiné de quelques notes de guitare que l’on jurerait tirées de la bande-son de Million Dollar Baby.