Tiens, (encore !) une autofiction. Et même une autofiction au carré : Desplechin adapte Tromperie de Philip Roth, sans qu’on ait l’impression d’un dépaysement géographique ou linguistique (Bruno Podalydès incarne pourtant le romancier américain, et Léa Seydoux son amante britannique). Et pour cause : non seulement le jeu de Podalydès n’est pas sans évoquer celui de Mathieu Amalric, acteur fétiche du cinéaste (notamment dans les scènes de colère, où le mimétisme saute aux yeux), mais de surcroît son personnage tient des propos qui, on le sait, sont aussi ceux du cinéaste – notamment la confusion entre antisionisme et antisémitisme, et la défense mordicus d’Israël. C’est la part la plus gênante de cet exercice, qui culmine dans une scène imaginaire de procès en misogynie, et une défense pro domo de Desplechin, dont on devine qu’il a été marqué par les critiques à cet endroit lors de la sortie de Roubaix, une lumière. Embarrassante scène où, lorsque la procureure prend la parole, le cinéaste cadre Podalydès en lui coupant la tête, pour bien souligner que cette parole féministe n’est pas sans castrer le créateur.
Passons. Le film vaut un peu mieux que ces séquences qui ne lui font guère honneur, lorsqu’il se concentre sur l’intimité partagée d’un couple et la circulation des affects comme terreau de l’écriture. Très resserré, le film dépasse ces écueils par l’attention qu’il porte à ses acteurs – en particulier le visage d’Emmanuelle Devos, qui joue une ex-amante atteinte d’un cancer, et celui de Léa Seydoux, que le cinéaste inonde de lumière et de couleurs, dans une perspective hautement fétichiste. Reste que les derniers films de Desplechin donnent la curieuse impression d’un tâtonnement pour sortir de la forme romanesque qui a fait le succès du cinéaste dans les années 2000. Le passage par une esthétique plus modeste ne va pas sans distiller un parfum de crise, comme le révèle un détail amusant, mais révélateur d’un complexe d’infériorité que Despleschin entretient à l’égard de Kechiche, auquel il disait « penser tous les jours » dans un entretien accordé à Libération à propos de Roubaix, une lumière : au détour d’une conversation, le personnage de Seydoux évoque les tendances légèrement exhibitionnistes qu’elle avait dans sa jeunesse, et les « cheveux bleus » qu’alors elle arborait.