Un festival de cinéma n’en serait pas un sans son film à pitch sorti de nulle part, petit trublion posé en sélection parallèle et dont le concept mi-fumeux, mi-génial éveille un peu partout des sourires amusés, voire carrément des enthousiasmes passionnés. Bref, Grave est sans nul doute ce film-là, celui qui a déjà gagné son match avant même sa projection, sous la bannière d’un résumé entendu aux quatre coins de la Croisette aujourd’hui : « des végétariens vétérinaires cannibales ! »
Évidemment, il serait trop simple de céder à cet emballement, mais il ne serait pas beaucoup plus futé de le refuser en bloc : disons, pour être plus nuancés, que Grave se casse un peu la figure sur ses ambitions de film de genre (une jeune fille végétarienne entre en école vétérinaire et se découvre, à l’instar de sa sœur aînée, un instinct anthropophage de moins en moins répressible) puisque Julia Ducournau ne parvient jamais vraiment à fabriquer de la tension, mais qu’une autre houle le soulève finalement, qu’on n’avait pas vue venir puisque la version lapidaire du pitch, citée plus haut, ne la mentionnait pas. Et cette houle, c’est la violence de la masse et de la jeunesse, puisque Grave est un film d’horreur un peu raté mais un campus movie réussi : ce que Ducournau semble le plus aimer filmer, c’est la férocité, la vulgarité, la brutalité de la jeunesse, en fête (les séquences les plus fortes, sans hésitation), en dortoir, en classe. Tout le film baigne dans les rituels d’intronisation et de bizutage de la fac : plus qu’une toile de fond, voilà là quelque chose que Ducournau désigne subrepticement comme la source véritable de toute la soif de sang qui s’apprête à monter, délivrant un portrait de génération d’une vraie sévérité.
Disons-le franchement : dans Grave, l’ingrédient qui en rebute certains (aussi facilement qu’il en convainc d’autres), c’est le cool. Avec sa lumière élégante, son casting neuf et assez séduisant, le film s’affiche comme la pépite underground du festival, évoque volontiers l’esprit trash et féminin de certaines productions Kourtrajmé. Faut-il pour autant s’en méfier ? Sous ce qui relèverait plutôt de la com, il reste tout de même un film, certes imparfait (notamment une fin totalement grotesque) mais qui a tout de même lâché une petite décharge électrique sur le festival.