La présence de Park Chan-wook en compétition suscitait à la fois le désir et la crainte, tant les souvenirs de l’indépassable Old Boy (Grand Prix 2003) résonnent à toute annonce d’un nouveau film du réalisateur coréen à Cannes. Ici, Mademoiselle se pose comme un mélange entre Stoker, son thriller domestique occidental (2013), pour l’ambiance inquiétante de sa maison baroque, et L’Empire des sens (Nagisa Ôshima, 1976), pour son propos sadien en milieu asiatique (toutes proportions gardées). Le résultat est assez inégal, un peu trop clinquant dans sa mise en scène et emmêlé dans son déroulement pour provoquer le même plaisir que ses précédents films, mais reste intrigant pour son hybridité étonnante et son positionnement sulfureux.
Maîtres et esclaves
L’intrigue à tiroirs de Mademoiselle est construite autour d’une relation empoisonnée entre maîtresse et gouvernante. Au départ, Sookee est envoyée par son maître, Le Comte, servir la jeune et innocente Hideko, héritière d’une confortable fortune, dans le but secret de la faire tomber dans les bras de son maître. La beauté hypnotique de la maîtresse fait finalement basculer Sookee dans un désir saphique et la tentation de doubler le Comte – avant que les choses ne se corsent. La mise en scène du réalisateur coréen tranche avec le reste de la sélection cannoise par sa photographie impeccable, ses grands angles picturaux en intérieurs, son regard glacé sur les corps de ses actrices, ses effets de manche musicaux et ses twists à répétition. Ce cinéma de soumission correspond à son propos et donne lieu à quelques belles scènes (des scènes de bain notamment), même si le décorum empêche souvent la mise en scène de respirer.
Un étrange double exotisme
Park Chan-wook mêle ici des influences occidentales et asiatiques, et, en particulier au sein de celles-ci, les cultures japonaises et coréennes : l’écran titre s’ouvre sur une étonnante explication du code de couleur des sous-titres – jaunes pour le japonais, blancs pour le coréen. L’influence occidentale est certaine, à l’image du manoir aux multiples styles architecturaux qui sert d’écrin au film, ou du plaisir littéraire des hommes du film à écouter une jeune femme mettre en scène oralement des textes érotiques, inspirés de la littérature européenne du XVIIIème, celle du marquis de Sade en particulier. Mais une part non négligeable du film, comme les plaisirs érotiques à proprement parler, sont enracinés dans la fantasmagorie japonaise, avec ses poulpes puissants et ses geishas soumises. Les rapports de force, admiratifs et conflictuels, entre Coréens et Japonais s’ajoutent à la lecture purement érotique des jeux de domination du film, même s’ils tendent à complexifier la lecture d’un film déjà compliqué par son intrigue en miroirs.
Un peu boursouflé sans être désagréable, Mademoiselle échoue à être véritablement subversif au-delà de son sujet, tant sa mise en scène joue sur une énergie esthétique déjà vue et un peu épate-bourgeois. Une analyse du regard géopolitique du film donnerait peut-être de la profondeur au film, voire du panache pour son entremêlement politique-érotisme – mais cela reste à étudier.