Beau projet sur le papier : pour son quatrième film, Albert Serra filme les derniers jours de Louis XIV, incarné par Jean-Pierre Léaud, cloué au lit par une gangrène de la jambe gauche. Immédiatement, la machine théorique s’emballe : le Roi Soleil devient un astre mourant autour duquel gravite un ballet de médecins, tandis que son crépuscule renvoie bien entendu à celui de son acteur principal, célébré cette année à Cannes avec une palme d’honneur. Oui mais voilà, pérorer sur la matrice méta du film, enfiler les perles à propos de l’aura de l’acteur – sur laquelle Serra joue bien naturellement, en témoigne, en référence aux 400 Coups, un long regard caméra qui aurait d’ailleurs pu faire office de belle fin pour le film –, c’est faire le jeu de cet objet un peu roublard et, pour le dire franchement, assez peu généreux. Car si les deux premiers plans d’extérieur, splendides, augurent un film mariant les couleurs et les tons, Serra referme tout de suite son récit sur la chambre du monarque, boudoir où son corps flétri va agoniser pendant près de deux heures.
Ce film de chambre, éclairé à la bougie, trace un pont évident avec le dernier film de Serra, Histoire de ma mort, mais s’en détache aussi nettement dans le resserrement qu’opère son dispositif. Le film tient à peu près lorsqu’il délègue le plan à Léaud et se contente de regarder l’homme, toujours alité, approcher lentement de l’heure fatale. Quitte aussi à le filmer comme un cadavre : si Léaud, dont le personnage est encore un peu vaillant au début du film, fait preuve de sa malice et espièglerie habituelle, Serra finit par s’intéresser moins à l’acteur qu’au mythe, et s’en tient à son programme mortifère et limité. C’est lorsque le Roi quitte le champ de l’action que la pauvreté du film apparaît en pleine lumière : les conciliabules de médecins sont une suite de plans ne répondant à aucune logique d’écriture, paresseusement mis à bout entre deux scènes focalisées sur sa Majesté déclinante. Presque une purge, vaguement sauvée par le roi Léaud.