Après le lieu unique de L’Inconnu du lac, Alain Guiraudie retrouve avec Rester vertical un héros irrésolu pris dans un récit vagabond fait de fausses pistes, de raccourcis et de demi-tours plus proche de ses films précédents. Rencontré deux jours après la projection du film au festival de Cannes 2016, il évoque l’angoisse transmise à son héros, de voir disparaître le désir.
Léo, le personnage principal de Rester vertical, est un cinéaste qui n’arrive pas à écrire un scénario. Peut-on voir dans ce mal d’inspiration une dimension biographique ? Avez-vous eu peur des attentes après le succès de L’Inconnu du lac ?
Après L’Inconnu du lac, j’ai repris des projets que j’avais lancés avant le tournage mais qui m’emmerdaient un peu. Je me sentais un peu gêné d’avoir été payé sur des projets dont j’ai livré les scénarios mais que je n’avais plus envie de voir aboutir. C’est comme ça que j’ai commencé à écrire Rester vertical. Abandonner un projet place toujours face à des doutes. Je n’ai jamais eu l’angoisse de la page blanche, mais à cette époque là, je me suis demandé si cela m’arriverait un jour. J’ai eu envie de traiter la question de ce qui se passe après le désir. Je l’ai fait sur le mode de la comédie parce que ça n’est pas quand même pas un drame ! D’ailleurs, Léo se fout un peu de la pression qu’exerce sur lui son producteur ! Mais moi, je n’ai jamais eu l’angoisse de la page blanche.
Au stade de l’écriture, on m’a reproché que le personnage soit cinéaste : le cinéma français a toujours cet impératif de donner un « vrai » métier à ses personnages ! J’en ai eu marre d’aller chercher d’autres professions et surtout, je n’en ai trouvé aucune qui offre au personnage la possibilité de disposer de son temps tout en vivant des difficultés matérielles. Le jeu entre la liberté et la précarité m’intéresse beaucoup. À force d’être ballotté partout, Léo tombe dans une précarité cruelle au point de se retrouver à poil.
On ressent une angoisse plus sombre que dans vos films précédents. Léo est en proie à une profonde solitude notamment lorsqu’il fait la manche avec son bébé dans les bras, que vous mettez en scène avec un réalisme peu habituel dans votre cinéma.
Cette scène s’est écrite très simplement. Par contre, ça me foutait la trouille d’aller filmer dans la rue avec des vrais gens. J’ai alterné des silhouettes et des passants pris sur le vif dont je n’ai pas filmé le visage. J’aime bien ce mélange de documentaire qui va presque vers une tonalité de genre ou a minima onirique.
Le désir de Léo est d’avoir le choix entre des relations ou des chemins différents au sens propre comme au figuré. Tout comme le film s’autorise à prendre la trajectoire de l’érotisme, celle du film social ou encore de l’onirisme.
C’est vrai, j’avais envie de revenir à un film qui vagabonde. Quelque chose ne me satisfait pas totalement dans la forme de tragédie classique qu’adopte L’Inconnu du lac. Je voulais renouer avec ce cinéma auquel je suis très attaché, qui puise dans le réel jusqu’à la trivialité et qui mélange rêve et réalité, comédie et tragédie, quotidien et aventure. Léo est un héros nomade et indécis. J’avais envie qu’il soit question de s’occuper d’un bébé, mais sans passer par des questions de PMA, donc il a un enfant avec Marie. Mais cette relation aurait aussi bien pu se jouer avec un mec.
Le film emprunte effectivement plusieurs voies : on n’est pas dans un road-movie qui va d’un point A à un point B. On va et on vient. J’aime le fait que mon film représente le temps et l’espace de façon distordue avec les ellipses ou les voyages entre les trois lieux, Brest, le Marais poitevin et la Lozère. Mais je trouve très difficile de faire ressentir la distance au cinéma. Il faudra que je m’y attelle un jour.
Les conditions de production étaient-elles plus confortables sur ce film que sur L’Inconnu du lac ? Est-ce qu’être prêt pour le festival a constitué une pression ?
Oui, on était plus à l’aise. J’ai tourné en neuf semaines. Mais les trois semaines supplémentaires par rapport à L’Inconnu du lac ne m’ont bizarrement pas donné l’impression d’avoir plus de temps en raison des cinq-cents kilomètres de distance entre les trois décors. En commençant le montage au mois de novembre, j’ai eu l’angoisse qu’on soit un peu ric-rac pour Cannes. Mais ça n’a pas été le cas. Nous avons même pris une semaine de vacances au mois de mars pour revoir le film avec un peu de distance. De toute façon, je suis d’avis qu’à un moment, il est bon que les choses s’arrêtent. J’accepte toujours ce jeu de mettre un point final.
Votre roman Ici commence la nuit est très présent à l’esprit, notamment dans le rapport assumé à la gérontophilie. Est-ce que ce rapport à l’écriture littéraire a changé quelque chose dans votre façon de percevoir l’écriture de scénario ?
À y réfléchir, maintenant que vous le dites, il est vrai que ce livre a ouvert une boîte de Pandore. Ce que j’aime dans le roman, c’est qu’il soit un monologue intérieur, qu’il traduise le bordel interne de l’esprit d’un mec. Faire du cinéma amène tellement de frustrations ! On y est prisonnier d’une durée, les émotions s’annulent. C’est terrible de s’apercevoir au montage que ce que l’on a écrit ou tourné ne fonctionne pas. Je travaille toujours dans le sens du film, c’est-à-dire que j’évacue tous les éléments qui ne marchent plus. J’ai dû abandonner une scène de baise qui intervenait après la mort de Marcel. À l’écriture, je la trouvais très belle, très drôle. Une fois tournée, elle foutait tout en l’air. Ce sentiment-là est d’une grande cruauté. Maintenant, j’ai envie d’écrire un roman qui solde mes déceptions de Rester vertical et qui me redonnerait un élan vers autre chose.