À la veille de la Révolution française, des aristocrates expulsés de la cour se retrouvent dans un bois pour assouvir de violents désirs sexuels et partager leurs fantasmes. À partir de cette intrigue évoquant Salò de Pasolini, Albert Serra réalise un film au titre trompeur, chant macabre bien plus qu’ode à la liberté. Les premières minutes du film ont le mérite d’attiser la curiosité. D’une étrange discussion scatophile menée autour d’un tas de fumier au crépuscule, Liberté passe à des considérations politiques échangées clandestinement entre des libertins en fuite, bien décidés à perpétuer leur mode de vie. À la nuit tombée, la caméra entame une longue traque forestière à la recherche de groupes ou de silhouettes s’adonnant à leurs plaisirs interdits sous une morbide lumière blanche.
Le dispositif du film se révèle relativement simple en cela qu’il passe d’une scène sexuelle crue à l’autre bordée par le regard systématique d’un voyeur, révélé par un élargissement du cadre ou par un contrechamp. Cet effet de répétition – Serra cherchant visiblement aussi à créer une sorte de répertoire des vices – se double d’un jeu permanent sur le hors-champ ou le cadrage ambigu qui ménage des effets de dévoilement dont la brutalité va crescendo. Les personnages apparaissent comme des spectres selon un processus de déréalisation qui contamine tout le film, à l’image de cette forêt de conte horrifique dont la photographie et le beau travail sonore soulignent la part hantée et mystérieuse. Dans leurs corps mêmes, ces fantômes semblent privés de toute force vitale : ils sont à plusieurs reprises présentés comme impuissants, tandis qu’ils se vident de leur sang et de leur urine tout au long du film. L’insistance sur leurs faiblesses physiques (la vieillesse, la laideur, le handicap dont le film fait des sources potentielles de dégoût) achève de caractériser la vision noire de Serra dont on ne sait pas bien, à vrai dire, si elle relève d’une vraie misanthropie ou d’une tentative esthétisante d’adaptation sadienne.