Molodist, le plus ancien des festivals ukrainiens, s’est attaché, comme chaque année, à maintenir le niveau de ses ambitions : « faire de cet événement remarquable, connu de tous en Ukraine, un rendez-vous international et une chance unique de voir les meilleurs films du monde » comme l’a souligné fièrement le directeur général Maksym Lyashenko, aux commandes du bateau depuis deux ans. Reste à savoir si, pour répondre à de telles exigences, la programmation devrait se contenter d’afficher des films ayant, pour la plupart, déjà fait leurs preuves dans les plus grands festivals internationaux (plusieurs d’entre eux furent présentés à Cannes dans les sections « Un certain regard » et « La Semaine de la critique ») ou de prendre des risques avec des films récents, pas ou peu médiatisés.
Parmi les 13 films de la Compétition Officielle, seuls 4 venaient d’Europe de l’Est. Les autres étaient français (2), franco-suisse, allemand, hongrois, américain, canadien, iranien, japonais. Furent mis en lumière les problèmes d’identité dus au poids des blessures consécutives à l’histoire d’un pays et à celle d’une famille. Soit : la guerre dans Premières neiges d’Aida Begic, Night Before Eyes de Brigitte Maria Bertele et Le Sel de la mer d’Annemarie Jacir, la famine dans Little Life d’Olexandr Zhovna, la pauvreté dans Le Ring d’Anaïs Barbeau-Lavalette et Versailles de Pierre Schoeller, la rupture amoureuse dans Huddersfield d’Ivan Zivkovic, la maladie dans La Guitare d’Amy Redford. Le cinéma de Molodist a su bouleverser et émouvoir. En témoignent surtout Le Cahier de Hana Makhmalbaf (récompensé entre autres par le Grand Prix du meilleur film) qui dénonce la condition des femmes et la stupidité de la guerre en Afghanistan, et le très réaliste et noir Versailles de Pierre Schoeller qui a obtenu le Prix Fipresci. Rien de drôle donc, ni de léger dans ce panorama où les œuvres montrent une course effrénée pour recouvrer ses racines et jouir d’une identité nouvelle, salvatrice.
5 des 19 courts métrages en compétition provenaient d’Ukraine, de Russie, de Pologne, de Roumanie et de Slovaquie. Quant à la Compétition des films d’étudiants, elle vit concourir 30 autres courts métrages, tous genres confondus, dont un tiers venaient d’Europe de l’Est. Une section qui a ouvert bien des horizons à de jeunes cinéastes débutants. François Ozon y avait d’ailleurs présenté son premier film.
Quelle place pour le cinéma ukrainien ?
Les œuvres ukrainiennes auraient plutôt élu domicile dans une section bien définie, bien nationaliste, celle du Panorama du cinéma ukrainien qui abritait des courts et moyens métrages. N’auraient-elles donc pas de quoi se pavaner dans des sections regroupant des films internationaux ? Ce n’est pourtant pas le manque d’imagination qui fait défaut à ces jeunes cinéastes en herbe. A en juger le travail de leurs courts, ils ne manquent pas d’inspiration, ni de rigueur. S’ils se nourrissent plus ou moins du talent de leurs maîtres (Kusturica pour The Stray de Valerly Yambursky), ils ont tendance à faire primer l’esthétique des images, la juxtaposition de plans fixes interminables, au détriment du scénario. Un peuple en mal d’inspiration ? Un peuple qui semble en tous cas privilégier les univers imaginaires où les personnages ne s’incarnent pas vraiment dans les histoires filmées.
La vraie raison d’être des films hors compétition
Parce qu’on parle aussi de « la nouvelle vague » du cinéma serbe, une section lui fut dédiée, avec 8 films ayant compté entre 1980 et 2008, dont le poignant The Trap de Srdan Golubovic, récompensé dans de nombreux festivals internationaux. Il s’agit de l’histoire d’un drame individuel et collectif qui rend visible notre manque de liberté pouvant engendrer toute la misère humaine.
Parmi les paramètres qui influencèrent le choix des sélectionneurs de Molodist : les goûts du public. Un public dissipé, laissant sonner son portable à tout va, quittant les salles obscures bruyamment, sans scrupules, mais qui semble pourtant particulièrement sensible au cinéma français, beaucoup plus qu’au cinéma italien par exemple. Les organisateurs ont donc jugé judicieux de faire la part belle aux Français, avec notamment la section Cinéma français d’aujourd’hui, dans laquelle furent proposés 8 films de 2007 à 2008, ainsi que deux rétrospectives consacrées au cinéaste André Delvaux et à la comédienne Jeanne Moreau. Sans oublier la Master Class d’un journaliste des Cahiers du Cinéma, Vincent Malausa, qui enseigna le métier de critique de cinéma en 4 heures. Une rencontre qui fit amphi comble !
Outre le désir de diffuser un cinéma de qualité, essentiellement européen, on a aussi senti une volonté de faire de ce festival un instrument de combat contre la discrimination sexuelle, avec la section Sunny Bunny, les films gays et lesbiens et la section Le cinéma contre le totalitarisme. Comme pour rompre avec la gravité des sujets qui défilèrent sur les toiles de Kiev, il y eut de la Rumba dans l’air de clôture, après l’annonce du palmarès, le 26. L’apparition des joyeux lurons décalés, Dominique Abel et Fiona Gordon (co-réalisateurs et acteurs), fit l’effet à elle seule d’une émouvante happy-end.