FIFA. Quatre lettres qui, en ce mois de juin, font briller tous les yeux d’une terre ronde comme un ballon de foot et dont l’épicentre abrite le stade Maracanã… Ou pas. Car un acronyme peut en cacher un autre. L’autre ? C’est le Festival International du Film d’Animation, se déroulant du 9 au 14 juin. Ce FIFA là, c’est le Cannes de la marionnette et de l’image de synthèse, dont l’épicentre est, lui, à Annecy. Même si le film d’animation est estampillé «film pour enfant» dans bien des esprits, le public annécien ne s’y trompe pas puisqu’il est principalement constitué des GRANDS enfants. Des amoureux de l’animation venus pour une cure de rajeunissement collective. Mais pas seulement. La technique, ou plutôt les (très) nombreuses techniques, de l’animation constituent aussi un medium de choix pour aborder des sujets complexes, graves, traités sans édulcorant à destination d’un auditoire adulte. C’est d’ailleurs la tendance qui réussit, tout de même, à émerger parmi la très foisonnante et disparate sélection de cette 38e édition (230 films sélectionnés pour 88 pays représentés). Une tendance encore plus marquée sur les formats longs.
Intrinsèquement liée au genre, l’opposition du cinéma enfantin à celui de la maturité permet l’exploration de l’extraordinaire capacité de l’animation à nous faire accepter toutes les exubérances et à raconter, réinventer le monde pour ses spectateurs. Pour reprendre les termes de Bruno Felix, producteur de Last Hijack, long en compétition, «l’animation permet d’ouvrir de nouvelles perspectives car elle transcende la réalité». Entre autres, transcendés dans les longs en lice pour le Cristal d’Annecy: la mort, la guerre, l’adultère, l’escroquerie ou encore les pirates somaliens dans Last Hijack, justement. Les sujets qui ont retenu l’attention du festival pour la compétition prennent le risque de toucher à l’être, au politiquement correct, voire au politique tout court, et d’ébranler au passage nos convictions. Des sujets à strates que l’animation vient exacerber grâce aux immenses possibilités du graphisme, pour mieux extraire l’essence du problème. Enfin, la plus part du temps…
Le film engagé préfère la 2D

Lisa Limone ja Maroc Orange, seul long métrage en compétition à utiliser la technique ancestrale de l’animation en volume pourtant à l’honneur cette année, n’a pas su éviter le piège de la surenchère dramatique. Le concept est pour le moins improbable. Un couple d’amoureux nés «sous des étoiles contraires», de l’immigration clandestine, des travailleurs exploités, le tout interprété par des citrons et des oranges sur fond d’opéra pop-rock. Pourquoi pas. L’animation n’est-elle pas le royaume de la fantaisie cinématographique? Seulement voilà, le réalisateur Mait Laas assène une culpabilisation creuse à grand coups de ressors scénaristiques sans subtilité, qu’il se sent obligé de tartiner couche par-dessus couche, au cas où le spectateur n’aurait toujours pas compris le message. Les idées sont là mais mal exploitées, depuis la mise en abîme qui renvoie le spectateur à son inertie face au drame de l’immigration, jusqu’à l’opéra dont la dimension tragique est tuée dès la troisième séquence. Certainement pas de quoi prouver au public que le meilleur de l’animation en volume n’est pas derrière elle. Encore moins démontrer l’intérêt du medium pour traiter des sujets engagés. Non, l’engagement semble préférer la 2D, comme si le discours politico-social supportait mal la transposition en volume.

Le superbe Arte della Felicità mêle, lui, avec brio des dessins au crayon et à l’aquarelle dignes des meilleurs BDéistes à un scénario en forme de road movie intimiste, où le souvenir est un lieu de stop sur la route vers le secret du bonheur. Alessandro Rak livre une peinture de caractères entrelacée à une réflexion philosophique, dans le huit clos du taxi conduit par le personnage principal. Cette petite merveille d’ascenseur émotionnel, qui vous fait passer de la joie aux larmes en trois coups de crayon, porte haut les couleurs d’une animation élaborée, dense, mature, emprunte d’une poésie mélancolique. Une animation typiquement adulte qui n’est pas sans rappeler un autre plongeon animé dans l’âme humaine, Valse avec Bachir d’Ari Folman.
L’intrus
Seul au milieu de tant de sérieux, un marginal, Minuscule. En contant le parcours initiatique d’une jeune coccinelle bravant tous les dangers pour aider une troupe de fourmis noires à ramener jusqu’à la fourmilière une boite de sucre, il se démarque comme l’unique long métrage en compétition interdit à ceux qui n’auraient pas gardé la fraîcheur de leurs 8 ans. Mais plus que par ce contre-pied, Minuscule s’illustre au sein de la sélection par le mélange de deux techniques, celle de la prise de vue réelle offrant au film de Thomas Szabo et Hélène Giraud des décors et accessoires naturels, et celle de la 3D intégrant les personnages dans les prises de vue. Placé presque comme un intrus dans la balance, le ton penche majoritairement vers le grave chez les longs de la sélection alors qu’en face, les formats courts s’amusent à pousser le trait du registre «adultes» pour en faire émerger un humour vitriolé où violence et sexe font souvent bon ménage. Entre la Belge Delphine Hermans qui explore l’érotisme du système pileux humain dans Poils et les héros de notre enfance devenus des Kassos qui défilent devant l’assistante sociale, difficile de résister, les zygomatiques s’avouent rapidement vaincus.
Un pont entre deux âges
Face à des films finalement très hétéroclites dans leurs approches, le Cristal du long métrage est allé à celui qui affichait, en apparence, la pire adéquation entre le fond et la forme… dont l’émulsion révèle un film singulier devant lequel il est impossible de rester de marbre. O Menino e o Mundo, film d’animation brésilien, aborde les problèmes sociaux et économiques qui rongent le Brésil dans un style faussement enfantin. Un mélange risqué de deux extrêmes qui en a perturbé plus d’un lors des projections. Mais si, en amour, les opposés s’attirent, en animation, Alê Abreu nous glisse à l’oreille que ce sont des âmes sœurs. Toute la force du film est là, mettre à profit les spécificités d’un medium riche, jouer de sa stigmatisation juvénile, pour immerger le spectateur dans un crescendo critique poignant jusqu’aux dernières minutes, à la limite du soutenable. En supplantant les simples atours du film pour enfants et en optant pour un graphisme hybride confrontant le dessin d’enfant au collage et à la prise de vue réelle, O Menino e o Mundo prouve que l’ingénuité est la plus tranchante des critiques sur le monde moderne. Et en se voyant couronné pour la deuxième année consécutive à Annecy, le Brésil confirme la richesse et la créativité de son cinéma d’animation.
