Consacré à la diffusion du cinéma européen et au développement du cinéma turc, le festival « On Wheels » se déroule chaque année en novembre sur plusieurs semaines. Créé en 1995 et coordonné par les membres de l’Association de Cinéma d’Ankara, le festival a non seulement la bougeotte mais de l’ambition. Pour cette treizième édition, cet événement itinérant inédit en son genre, a débuté sa course à Ankara avant de mettre le cap à l’extrême est de la Turquie, à Kars, puis à Samsun, avant de finalement poser ses bobines à Sarajevo. En bref, du 2 au 25 novembre dernier, près de quatre-vingt dix courts et longs métrages récents ont traversé pas moins de 5051 km. Retour sur l’étape de Kars où se déroulait la compétition du festival et la remise de ses Golden Goose Awards…
Pour cette édition 2007 du festival « On Wheels », la compétition de longs métrages européens vue à Kars était constituée de 10 films, pour une sélection représentant plusieurs pays de l’ex-Yougoslavie, dont la Croatie et la Bosnie-Herzégovine avec Armin d’Ognjen Svilicic. Parmi les anciens états du bloc de l’Est, la Roumanie, comme on peut s’en douter, était au rendez-vous avec The Rest Is Silence de Nae Caranfil, une fresque riche en couleurs et en humour suivant l’ascension mêlée de désillusions d’un jeune génie du cinéma lorsque le 7ème Art en était encore à ses balbutiements. Si le film s’essouffle un peu en cours de route – malgré l’énergie loufoque et attendrissante déployée par l’acteur Marius Florea Vizante –, il n’en est pas moins une preuve supplémentaire de la qualité du cinéma roumain actuel. D’ailleurs, le festival présentait en projection spéciale la Palme d’Or 2007 : Quatre mois, trois semaines et deux jours de Cristian Mungiu ainsi qu’une projection-hommage des courts métrages de Cristian Nemescu (Mihai and Cristina, 2001 ; C Block Story, 2002 ; Marinela de la P7, 2006), disparu en 2006 avant d’achever California Dreamin’, son premier long finalement primé par le jury d’Un Certain Regard en mai dernier . Très agréable surprise venue de Pologne, TRICKS d’Andrzej Jakimowski, fable inventive à la photographie et aux jeunes acteurs remarquables sous-tendue par les questions du destin, de l’accomplissement de soi et de la recherche de ses origines. Une bouffée d’espoir en ces temps ternes…
La figure du père était d’ailleurs emblématique de bien des films sélectionnés par le festival en compétition. Sur-protecteur et roublard chez Ognjen Svilicic, emprisonné par ses préceptes religieux dans My Father, My Lord, ignoblement violent dans le polémique (mais douteux…) thriller social du Suédois Anders Nilsson When Darkness Falls, mais aussi absent chez Semih Kaplanoğlu, dans Yumurta. Œuvre sensible et impressionniste faisant suite au sombre The Angels’ Fall (2004), le film explore le retour aux origines familiales et rurales d’un jeune écrivain turc confronté à la mort de sa mère. Si pour Yusuf (interprété par Nejat İşler) ce deuil passe par l’intériorisation de ses sentiments mais aussi le vertige, il sera aussi réconciliation (avec ses racines, ses rêves), renouveau et éveil des sens. Économe en dialogues, Yumurta est un film pourtant captivant, où le minimalisme des émotions visibles n’exclue en aucun cas une grande sensualité et une humanité vibrante. Le Grand Prix du festival, attribué à Trap du réalisateur serbe Srdan Golubovic, peignait lui aussi un portrait père-fils, un portrait douloureux où sauver une vie à Belgrade équivaut à perdre sa propre âme. Co-produit par la Serbie, l’Allemagne et la Hongrie, ce drame social rappelle le cercle vicieux qui piégeait Bruno Ganz dans L’Ami américain de Win Wenders, tout en s’inscrivant dans le contexte particulier de Belgrade et de sa difficile ascension vers des horizons moins anxiogènes…
Si la carte blanche donnée à Michael Haneke proposait tout un panel de classiques avec un grand C (Persona de Bergman, Au hasard Balthazar de Bresson, Prénom : Carmen de J.-L. Godard, Allemagne, année zéro de Rossellini), ce fut néanmoins l’occasion de (re)voir Paysage dans le brouillard (1988) de Theo Angelopoulos, road-movie poétique et surréaliste entraînant dans sa mélancolie brumeuse deux enfants déracinés en transit vers une patrie inexistante. Autre événement qui valait le déplacement (et quel déplacement…), la projection du très renommé Yol de Yılmaz Güney, dans sa version intégrale… CQFD : aux scènes coupées restituées. Palme d’Or à Cannes en 1982, ce long-métrage écrit par Güney alors qu’il était prisonnier politique et dont il n’est parvenu à achever le montage qu’une fois évadé et exilé un temps en France, fut interdit pendant quinze ans en Turquie…
Si la censure est aujourd’hui encore une forte réalité politique et culturelle de ce pays aspirant à entrer dans l’UE, espérons que ses arts visuels en fassent de moins en moins les frais, et que, de leurs côtés, des acteurs culturels tels les organisateurs du festival « On Wheels » puissent continuer leurs rôles de passeurs d’images made in Europe, au sein et au-delà de leurs frontières. İnşallah…