Depuis sa création il y a cinq ans, le festival Paris Cinéma présente en compétition des films venus de tout horizon et difficilement accessibles. Cette année, treize films concourent pour trois prix : le Pari du Public permet au distributeur de recevoir 15 000 euros et une campagne publicitaire de 10 300 euros dans Studio Magazine, le Pari du Jury / Métrobus finance une campagne de distribution de 100~000 euros et le Pari de l’Avenir (composé d’un jury étudiant) décerne 4000 euros (offerts par Positif) et 21 000 euros (offerts par A nous Paris).
Éclectique à plusieurs titres, la programmation propose des films de pays différents : Croatie, Corée du Sud, Mexique, Suède, Malaisie… sont autant de contrées lointaines ou peu représentées dans les festivals que nous découvrons. Du documentaire (Les Chats de Mirikitani, Potosi, Juste avant) au film autobiographique (Falkenberg Farewell, Mukhsin), du road-movie (Cowboy Angels) au film contemplatif (Desert Dream)… le voyage s’effectue aussi à travers différentes formes. Si l’innovation stylistique est inégale, chaque film campe néanmoins un univers qui lui est propre, auquel on peut adhérer ou non mais qui donne rarement l’impression d’un radical déjà vu. La compétition vise à donner leur chance à des films qui risquent de passer inaperçus. Certains d’entre eux peinent en effet à trouver un distributeur (Pêche sportive, Cowboy Angels, Falkenberg Farewell), tandis que d’autres connaissent déjà ailleurs un certain succès public et/ou critique (This Is England, Juste avant, Famille tortue) ou bénéficient d’une bonne campagne de presse (Naissance des pieuvres, Armin).
Diversifiée, cette programmation n’est pourtant pas dispersive et une ligne continue cohérente traverse ce panel varié. L’ancrage des films dans la réalité socio-historique de leur pays et/ou l’implication personnelle des cinéastes se retrouvent dans tous ces long-métrages, pour la plupart les premiers de leurs auteurs.
Juste avant, documentaire de l’Autrichienne Anja Salomonowitz, évoque les sévices subis par les femmes d’Europe de l’Est, emmenées puis séquestrées en Autriche. Optant pour une mise en scène radicale et austère, la cinéaste fait réciter par cinq personnages le récit des victimes. Les cadres travaillés minutieusement, les décors glaciaux et les voix impassibles créent une atmosphère claustrophobe qui sensibilise efficacement au problème traité. En laissant pudiquement les femmes en hors-champ, la réalisatrice parvient à informer en évitant tout voyeurisme. Parce que c’est au spectateur d’imaginer les images que suggèrent les paroles, ce film réussit également à transmettre un message tout en préservant une certaine liberté de lecture.
À l’opposé d’une telle sobriété, les deux autres documentaires, Les Chats de Mirikitani (Linda Hattendorf, États-Unis) et Potosi, le temps du voyage (Ron Havilio, France-Israël) sont dotés d’une certaine charge émotive, véhiculée par les personnes filmées et par l’implication personnelle des cinéastes. Le premier est centré sur un peintre américano-japonais SDF et âgé de quatre-vingts ans, Jimmy Mirikitani, que la réalisatrice rencontre dans les rues de New York et pour lequel elle se fascine. Si ce film n’est formellement pas tellement novateur, le charisme du vieil homme et les liens qui se tissent entre la réalisatrice et lui rendent le film attachant. L’intimisme est aussi doublé d’une dimension historique : en racontant son internement dans des camps lors de la Guerre Froide, le peintre évoque une période sombre de l’Histoire, les blessures qu’elle a laissées et la possibilité de s’en guérir grâce à la création artistique. Potosi oscille également entre documentaire et film à la première personne : trente ans après un premier voyage en Bolivie, dans l’ancien village minier Potosi, Ron Havilio retourne sur les lieux et emmène avec lui sa femme, ses filles, et vingt bobines de super‑8. Toute la famille participe à la création du documentaire. Lorsqu’elle est devant la caméra et nous fait part de son expérience, le spectateur peut avoir l’impression de s’introduire indiscrètement dans un film de famille. Mais lorsque ce sont les confessions des Indiens qui sont enregistrées, nous sommes en présence d’un témoignage émouvant sur un peuple, un lieu et une époque particuliers.
Cet ancrage dans une réalité socio-historique se retrouve dans les fictions présentées. Dans Armin (sorti en salles ce 15 août), le Croate Ognjen Sviličić raconte l’histoire de deux Bosniaques, un père (Ibro) et son fils (Armin), qui se rendent à Zagreb pour que l’enfant passe une audition d’accordéon. Si l’on peut être sensible à la relation père-fils, c’est aussi l’histoire d’un pays que le film convoque. L’acharnement d’Ibro, qui ne renonce à aucune humiliation pour donner une chance à son fils, renvoie à la difficulté pour les Bosniaques de se trouver une place. La tristesse désillusionnée de l’enfant rend quant à elle sensibles les blessures laissées par la guerre. Pour contemplatif qu’il soit, Desert Dream (Zhang Lu, Corée du Sud) évoque aussi, grâce au récit, la situation des Coréens aujourd’hui. Dans le désert mongol, le solitaire Hughai accueille deux réfugiés de Corée du Nord, une mère et son fils. Filmant patiemment le rapport particulier de ces trois êtres qui, ne parlant pas le même langage, communiquent par l’intermédiaire du désert, de gestes et regards furtifs, Zhang Lu raconte aussi la difficile fusion entre les habitants des deux parties de son pays. Fable sur l’enfance et tableau des mentalités malaisiennes, Mukhsin (Yasmin Ahmad, Malaisie) est le troisième volet d’une trilogie autobiographique (après Anxiety et Chinese Eyes) contant l’histoire du personnage féminin d’Orked. Le contraste entre la famille d’Orked, aux mœurs imprégnées de culture occidentale, et les autres personnages, fidèles aux coutumes religieuses, permet de comprendre les traditions en Malaisie. Cet ancrage réaliste n’est cependant présent qu’en filigrane car c’est surtout la spontanéité et la forte présence des acteurs, que nous voyons vivre des instants de la vie quotidienne, qui touchent et dotent le film d’une justesse l’éloignant de tout didactisme. Avec moins de finesse, This Is England (Shane Meadows, Grande-Bretagne) fait le portrait des années Thatcher en Grande-Bretagne. L’histoire du jeune Shaun, qui s’initie auprès d’un groupe de skinheads violents, illustre efficacement les conséquences de la rigidité du régime. Jouant trop facilement avec les émotions, ce film n’échappe pas à une certaine lourdeur en se faisant parfois démonstratif.
Contrepoints à ces films situés dans un contexte historique, d’autres œuvres de la sélection présentent des sujets plus atemporels et ont en commun une implication personnelle des cinéastes. Shotgun Stories, de l’Américain Jeff Nichols, propose une variation du mythe de Caïn et Abel, dans des paysages de l’Arkansas magnifiés par le Scope. Débutant lors de l’enterrement d’un père, le film raconte l’affrontement de deux clans, celui des fils nés d’un premier mariage et celui des fils nés du second, qui s’enfoncent dans une spirale vengeresse violente. Réunissant ses amis et jouant lui-même, Jesper Ganslandt signe avec Falkenberg Farewell (Suède) un premier film fortement autobiographique. Il y montre la vie quotidienne d’un groupe de jeunes garçons qui, peinant à quitter leur village natal et l’enfance, vivent l’instant présent aussi fortement qu’il est possible. Si l’on sent la nécessité pour le réalisateur de faire le point sur sa jeunesse et de freiner la marche du temps, Falkenberg Farewell ne ressemble pas pour autant à un film de famille : le travail des plans (qui rappellent Gus Van Sant et notamment Last Days), de la lumière et l’intégration de la musique font de ce film une œuvre en tant que telle.
Si Cowboy Angels (Kim Massee, États-Unis) et Naissance des pieuvres (Céline Sciamma, France) ne sont pas aussi explicitement autobiographiques, l’attachement des deux cinéastes à leur sujet se fait aussi fortement sentir. Reprenant le thème rabattu de la naissance du désir chez les adolescents et se donnant pour défi de le traiter en évitant les clichés du genre, Céline Sciamma (qui tourne là son scénario de fin d’études à la Fémis) met en scène le ballet des corps et des regards de trois jeunes filles, qui autour de la piscine se cherchent. Les actrices débutantes, filmées dans des images bleutées bercées par la musique de Para One, donnent au film une certaine justesse qui lui permet d’échapper aux stéréotypes. Tel n’est pas le cas du road-movie Cowboy Angels, qui narre la rencontre et les liens qui se tissent entre un jeune garçon délaissé et un trafiquant. Mise en scène, scénario et dialogues sont tellement attendus qu’il est difficile de s’attacher aux personnages, malgré la tendresse avec laquelle la cinéaste les filme.
Misant sur l’audace et la radicalité de la mise en scène, Famille tortue (Rubén Imaz Castro, Mexique) et Pêche sportive (Adrian Sitaru, Roumanie) proposent des univers très singuliers. Film de fin d’études, le premier enferme quatre personnages dans une maison, pendant une journée, attendant de célébrer l’anniversaire de la mort de la mère. Le cinéaste enregistre patiemment la façon de vivre de ces êtres incapables de sortir de leurs solitudes, et parvient à créer une atmosphère étouffante dérangeante. Tourné entièrement en caméra subjective, Pêche sportive raconte la journée d’un couple adultérin confronté à la présence d’une tierce personne (une prostituée renversée par leur voiture et qui décide de passer la journée avec eux) qui, par les remises en cause qu’elle provoque, lui permet de sortir de son impasse relationnelle. Le choix de la caméra subjective rend la lecture de ce film dynamique et le spectateur participe pleinement à l’histoire de ces personnages, servis par des acteurs très impliqués.