L’accueil du quatrième long métrage de Valérie Donzelli fut désastreux à Cannes – et ce, même dans nos colonnes. Il faut dire que la sélection du film en compétition, alors que Trois souvenirs de ma jeunesse d’Arnaud Desplechin ou L’Ombre des femmes de Philippe Garrel étaient relégués à la Quinzaine des Réalisateurs, ne fut pas à son avantage. Cette exposition se retourna contre lui, prouvant encore une fois que le festival cannois peut aussi être un violent rouleau compresseur pour les films les plus fragiles. Présenté en ouverture ou en clôture, Marguerite et Julien n’aurait sans doute pas eu à subir les mêmes attaques et se serait épargné sa réputation de ratage complet. Ce qu’il n’est manifestement pas, malgré des écueils indéniables qui auront permis aux détracteurs du cinéma de Valérie Donzelli d’enfoncer le film avec la retenue habituelle qui caractérise si bien les réactions épidermiques durant le festival.
Trouble dans le genre
Irrémédiablement collés l’un à l’autre, les amoureux de Main dans la main, le précédent film de Valérie Donzelli, avaient déjà laissé craindre le pire pour la réalisatrice et son cinéma qui s’abîmait dans sa conception burlesque remplie de gimmicks éteints qui n’aboutissait qu’à une évocation superficielle de la passion amoureuse tant recherchée. Condamnés à répéter invariablement les mêmes gestes, les personnages de Valérie Lemercier et Jérémie Elkaïm disaient déjà tout de l’impasse dans laquelle Donzelli s’était mystérieusement engouffrée : refaire inlassablement le même film et y rejouer, sous le versant de l’autofiction ou de l’adaptation, les affres sentimentaux de la cinéaste et de son comédien et co-scénariste attitré. Et ce n’est pas la quasi-disparition de Donzelli comme comédienne depuis La guerre est déclarée (et remplacée par Valérie Lemercier hier, Anaïs Demoustier aujourd’hui) qui changera la donne. Marguerite et Julien s’apparente donc à une variation de plus autour de cet amour impossible qui relie fraternellement Donzelli et Elkaïm : son intrigue s’inspire d’une histoire vraie, celle de Julien et Marguerite de Ravalet qui avaient défrayé la chronique au début du 17e siècle en entamant une relation incestueuse. Basé sur un scénario de Jean Gruault destiné à l’origine à François Truffaut, le long métrage quitte les rives de la comédie pour se confronter au film d’époque, en tentant d’y infuser un romanesque tragique : Marguerite est mariée de force à un mari bourru, Julien fait tout pour la sauver, l’enlève et le duo tente de partir vers l’Angleterre, pourchassé par le mari éconduit et la police qui les accuse d’inceste et d’adultère.
« Plus je lutte et plus je t’aime », se disent-ils. Et Donzelli de calquer sa mise en scène sur ce mantra tambouriné à tue-tête au spectateur, tant la cinéaste s’acharne à faire surgir l’érotisme du tabou qu’elle voudrait subversif au possible. Or, des jeux d’enfants aux jeux sexuels, la combustion de l’amour interdit ne prend pas toujours, malgré une première partie menée tambour battant qui rappelle la capacité de la réalisatrice à conduire son récit par de brusques accélérations de la narration et qui, en quelques plans, bousculent la reconstitution un brin figée sur l’écran. La phrase de Truffaut dans Les Deux Anglaises et le continent – « Amour, amour, les chiens sont lâchés » – revient en tête lors d’une scène où, enfants, Marguerite et Julien se lancent dans une course-poursuite endiablée à cheval, comme allégorie de leur future escapade funèbre. Il y a du trouble dans cette séquence qui finit par un coup de pistolet dans la tête de l’animal, trouble qui, par ailleurs, manque cruellement au film, notamment dans sa seconde partie (qui commence avec la fuite de Marguerite et Julien) où la cinéaste donne l’impression d’avoir abandonné la partie et de se réfugier dans des effets saugrenus (notamment de montage, lorsque le couple est rattrapé par la police) qui laissent un coup d’inachevé, voire de bâclé, au film.
Les écueils dans lesquels tombe Marguerite et Julien sont donc nombreux, mais il faut aussi lui reconnaître une audace réjouissante dans sa manière de fuir le naturalisme comme la peste et de tenter, certes souvent maladroitement, de ramener de la fantaisie et du lyrisme dans le cinéma français. L’ombre de Jacques Demy, et notamment de son Peau d’Âne, flotte allègrement au-dessus de Marguerite et Julien, tant le film multiplie ostensiblement les anachronismes (hélicoptère, postes de télévision…) et les décrochages de tons sous le sceau du conte de fées actualisé. C’est depuis une chambre d’un orphelinat que le récit se raconte, dans la bouche d’Esther Garrel narrant la légende des deux amoureux à une troupe d’enfants enroulés dans leur couette. Belle idée que celle-ci mais qui hélas ne trouve pas d’aboutissement réel dans le film, la faute à la gestion brinquebalante du scénario qui finit par se recroqueviller sur lui-même et par là même, par oublier les pistes pourtant réjouissantes de digressions. C’est ainsi que Donzelli, comme dépassée par l’ampleur de son film, tente, dans ses plus belles inspirations, de creuser l’intimité morbide du couple, en se concentrant sur de menus détails qui donnent à Marguerite et Julien les couleurs d’une sombre introspection, à l’image de cette séquence, lugubre et bouleversante, où le fantôme de Jérémie Elkaïm vient ramasser le corps de Marguerite évanouie. Si l’amour est alors possible (ce que martèlent constamment les films de Donzelli), c’est dorénavant dans la mort que réside le lieu de sa réalisation effective.