Ce premier film d’animation de Shane Acker, qui a pour originalité d’être produit par Tim Burton et Timur Bekmambetov, deux réalisateurs aux univers très différents, propose une plongée dans un univers post-apocalyptique terrifiant. Cette œuvre à l’esthétique adulte et gothique se démarque ainsi de la production américaine habituelle qui s’adresse principalement à la famille. Si l’esthétique du film est particulièrement réussie, elle ne permet pas de masquer l’absence d’inspiration scénaristique et parfois esthétique des auteurs, qui se contentent de se référer, voire de copier, un grand nombre d’œuvres marquantes de ces dernières années. Il en résulte l’impression d’assister à une magnifique démonstration de force technologique, qui manque malheureusement d’imagination et de personnalité en raison, peut-être, de la présence étouffante de ses producteurs.
Qui aurait pu imaginer que Tim Burton et Timur Bekmambetov s’associeraient pour produire un film d’animation ? Si l’univers des deux cinéastes relève du fantastique, leurs styles et leurs thématiques sont diamétralement opposés : le Russe, qui s’inspire avec insistance des blockbusters des années 1990 et 2000 (Wanted, gros loukoum ultra-découpé) est le chantre du trop plein référentiel, alors que Burton, malgré son manque d’inspiration depuis Ed Wood – en a‑t-il encore ? – reste ce touchant geek autiste définitivement batcave et romantique, qui aime tant les œuvres fantastiques classiques. Malgré ces différences, on peut imaginer ce qui a décidé les deux auteurs à s’associer : une histoire se déroulant dans un univers post-apocalyptique poétique et gothique délicieusement pessimiste. Numéro 9 est le nom du personnage du film. Ce petit automate amnésique, fait de toile et d’acier, se réveille dans un monde dévasté par l’Homme et sa technologie. Il rencontre très vite ses semblables, ce qui lui permet de découvrir le mystère de ses origines et les raisons de cette apocalypse : le soulèvement des machines créées par une modernité monstrueuse. Le film développe ainsi des thèmes liés à nos dérives militaristes, totalitaires et technologiques dans un bel esprit humaniste. Derrière l’horreur, une part d’humanité se cache dans le corps d’automates fragiles.
Si on se réfère à la tutelle de ses producteurs, Numéro 9 relève davantage des œuvres de Bekmambetov que de celles de Burton. Cette impression est liée au caractère référentiel du métrage qui emprunte son atmosphère à celle d’un grand nombre de films d’action et fantastique contemporains. Si Terminator est la principale influence (les machines prennent le pouvoir sur l’humain dans une ambiance de Jugement dernier), Numéro 9 copie largement des séquences de blockbusters comme Cloverfield de Matt Reeves ou Volte/Face de John Woo. L’œuvre est surtout influencée par l’imagerie crasseuse et gothique de la musique industrielle des années 1990 et 2000 (de Nine Inch Nails à Marilyn Manson). Malgré ces nombreux emprunts, l’esthétique horrifique du film est impressionnante grâce à la puissance formelle d’images somptueuses, liée à la poésie touchante de certaines séquences. Cette atmosphère est d’ailleurs très rare pour une production américaine de ce type – contrairement aux animés nippons qui ont une stylistique beaucoup plus adulte : Numéro 9 n’est pas un gentil film d’animation d’été, destiné à divertir un large public ; il s’agit d’une œuvre tragique aux éclats de violences gores, qui est peuplée de monstres cauchemardesques. Si l’imagerie utilisée peut ravir les fans d’horreur pure et d’univers post-apocalyptique sauce gothique, elle peut dérouter le spectateur lambda ainsi que les amateurs des productions Walt Disney, DreamWorks ou Pixar. Quelle que soit la réception de cette production, on peut saluer son atmosphère horrifique, qui change de l’esprit familial et enfantin des films d’animations américains contemporains.
Cependant, Numéro 9 ne fait pas le poids face à l’intelligence d’œuvres comme WALL‑E ou Les Indestructibles, qui sont beaucoup plus maîtrisées et inventives. Pixar a réussi à créer une esthétique originale qui est faite de réminiscences et d’hommages cinématographiques, tout en délivrant des thématiques passionnantes. Malgré son aspect adulte, ce film n’arrive également pas à rivaliser avec le meilleur de la production japonaise comme les Ghost in the Shell du visionnaire Mamoru Oshii, dont l’esthétique magnifiquement contemplative, désincarnée, technologique et poétique est en adéquation parfaite avec les thèmes abordés. Si Numéro 9 impressionne par sa puissance graphique, il prend malheureusement la forme d’une simple démonstration, le scénario étant réduit à son strict minimum : les personnages sont insuffisamment développés et le récit, beaucoup trop référentiel, provoque une désagréable sensation de déjà-vu. La durée très courte du métrage (1h20) renforce cette idée : les thèmes esquissés, qui traitent de l’aspect autodestructeur de l’Homme et de nos tendances guerrières, nécessitaient une plus grande ampleur dans leurs développements ainsi qu’une plus grande originalité scénaristique. Numéro 9 est une œuvre à l’aspect inachevé qui se repose beaucoup trop sur des moments de bravoures animés empruntés à d’autres films : cela ne permet pas de créer des figures cinématographiques fortes et nouvelles qui permettraient de gommer les faiblesses du récit.
La réalisation de Shane Acker manque ainsi de personnalité. Cela est sûrement lié à la tutelle de Burton et Bekmambetov. Le premier, producteur omnipotent, ne laisse que peu de marge de manœuvre aux réalisateurs qu’il produit. On pense évidemment à Henry Selick, qui semble n’avoir joué qu’un rôle d’exécutant dans la réalisation de L’Étrange Noël de M. Jack – heureusement, ce dernier a pu montrer l’étendue de son talent avec James et la pêche géante et son très beau Coraline. Shane Acker se retrouve dans la même position délicate, avec en prime, la présence de Bekmambetov, qui semble avoir influencé l’entière construction du métrage. On attendra la deuxième réalisation du jeune réalisateur pour juger de ses qualités, en espérant qu’il puisse livrer un film plus personnel, libéré de la présence étouffante de tels producteurs.