L’Étrange Noël de M. Jack, c’est l’histoire d’une injustice. Ce conte animé est depuis sa sortie en 1993 attribué au prolifique Tim Burton, alors que c’est son complice d’alors, Henry Selick, qui a réalisé le film. Cette ressortie en 3D ne corrige pas l’erreur, puisque c’est sous le pavillon Burton qu’est sorti le film. Or, dans ce cas précis, deux réalisateurs, c’est certainement un de trop.
Inconnues du monde des hommes, les fêtes religieuses possèdent chacune une « ville » : la ville de Pâques, de Noël… d’Halloween. Et le maître de cette ville d’Halloween, Jack Skellington, s’ennuie (mortellement, comme il se doit). Monstres, cris horribles, épouvantes diverses ne l’amusent plus. C’est pourtant ce en quoi il excellait, mais l’inspiration le fuit aujourd’hui. Il décide donc, en proie à une sorte de crise de la quarantaine pour squelette, de changer sa vie, de s’approprier la fête de Noël, et de faire enlever le Père Noël, pour avoir les mains plus libres. Mais c’est sans compter sur la malveillance d’un des plus sinistres résidents d’Halloween, Oogie-Boogie le croque-mitaines…
À l’époque de sa première sortie cinéma, L’Étrange Noël… était couplé avec la toute première réalisation de Tim Burton, le court métrage en hommage à Vincent Price, titré simplement Vincent, et auquel l’acteur prêtait sa voix, probablement l’une des plus belle du cinéma fantastique. Les comparaisons entre les deux films étaient non seulement inévitables, mais aussi parfaitement justifiées, puisque l’animation image par image (ou stop motion) était le procédé utilisé dans les deux, avec ses qualités, mais aussi ses contraintes. Vincent, en cinq petites minutes, constituait un étonnant florilège des nombreuses influences cinématographiques et littéraires du jeune Tim Burton (d’Edgar Allan Poe à la Hammer), dans un sorte de feu d’artifice (en noir et blanc) où l’on ressentait la hargne créatrice du jeune réalisateur de vouloir à tout prix reprendre à son compte toutes les influences qui avait été les siennes dans son enfance et son adolescence. Jack, parallèlement, apparaissait comme le grand frère sage et posé, plein d’une perfection technique impressionnante mais finalement assez fade et vide de la personnalité éclatante du court métrage.
À l’époque du tournage de Jack, Burton est occupé sur ce qui reste aujourd’hui comme une de ses réussites les plus baroques et les plus personnelles, le grandiose Batman, le défi. Il termine ce film alors que le projet Jack est lancé, et Burton, au scénario et à la production, décide de déléguer la réalisation de ce film (qui prendra finalement près de trois ans) à son ami Henry Selick, spécialisé dans l’image par image. Mais, indéniablement, la marque de Burton est là : son univers visuel si particulier, le côté sombre et morbide de sa poésie (car tout Jack était contenu dans un poème écrit par le réalisateur, sur le modèle de ceux paru en France dans La Triste Fin du petit enfant huître), son amour des personnages secondaires hauts en couleurs… Mais où trouver son style pour un Henry Selick déjà écrasé par l’aura médiatique et artistique de Burton ? Plus tard dans sa carrière, Selick réalisera (toujours sous l’égide de Burton, mais sous son propre nom, cette fois) un autre long métrage image par image, l’adaptation de Roald Dahl James et la pêche géante, dans lequel on peut certainement identifier un style propre. Mais celui-ci n’est présent dans Jack que lorsque il essaye de s’imposer par rapport à la marque forte de Burton, résultant dans un film aux ambitions gigantesques, un défi technique redoutable, et un film… fade, les bobines entre deux chaises. Si l’on ajoute à ça la présence au générique du complice de l’époque Danny Elfman, compositeur attitré de Burton, et dont la musique reste irrémédiablement associé à l’univers du cinéaste (mais jamais plus que dans ce film-ci probablement), les conflits de personnalités artistiques fortes finissent d’étouffer la sincérité d’un film qui reste aujourd’hui très beau visuellement, mais sans âme.
La ressortie aujourd’hui de ce film avec le gimmick de la 3D sonne donc comme le prolongement de cette même caractéristique. Le nouveau procédé technique est indéniablement renversant, mais ne rajoute certainement rien à la qualité d’un film qui reste intéressant, techniquement bouleversant, mais artistiquement surévalué.