Neil Gaiman, auteur couvert de prix de comics et de nombreux romans fantastiques, lorgne depuis des années vers le cinéma. Son univers riche et complexe a longtemps intimidé le septième art. Stardust, première adaptation de son œuvre sur grand écran, décevra les puristes, mais parvient à conserver une part de l’essence merveilleuse du roman, pour livrer un film qui parvient presque à ressusciter la beauté des classiques du genre, Ladyhawke en tête.
Tristan Thorn est un jeune homme comme on en voit peu : il tient sa parole comme sacrée. Lorsqu’il promet, un soir de la fin du XIXe siècle qu’il est parvenu à l’attirer hors de chez elle, à son amour Victoria Forester de lui ramener une étoile filante qu’ils ont vue tomber tous deux, il se doit donc de se mettre en marche. Cela signifie, pour lui, traverser la limite entre son village de Wall et le royaume féerique de Stormhold, et se lancer dans des aventures à peine imaginables, la première et la plus importante d’entre elles survenant lorsque l’étoile s’avère être une belle jeune femme – dotée d’un fort caractère…
Émanation la plus évidente de la suprématie des effets numériques sur un certain cinéma populaire, le « conte de fée de Noël » est certainement un genre en soi, dont la principale caractéristique est de devoir rassembler toute la famille autour d’un film, par essence consensuel. Hélas, c’est sur l’autel de ce consensus que sont généralement sacrifiées les qualités cinématographiques de films devenus au fil du temps passablement formatés, et qui trouvent leur pinacle dans les débâcles du Monde de Narnia et d’Eragon, autant en termes d’adaptation qu’en termes purement cinématographiques. Il y a quelques mois, le discret Secret de Terabithia créait une mini-surprise en s’écartant des sentiers battus – et ne trouvait pas vraiment son public. Stardust, grosse production féerique, était-il condamné à devoir suivre les voies narniesques de la mièvrerie à tous crins ? Fort heureusement, ce n’est pas le cas.
Le film de Matthew Vaughn est parvenu à conserver du roman original la subtilité de ses personnages (Robert De Niro, inacceptablement nul, excepté) et s’il a pris vis-à-vis du scénario de l’œuvre originale des libertés qui donneront des envies de meurtres aux puristes de Neil Gaiman (et ils sont nombreux), le soin apporté à ne pas trahir Yvaine, Tristan ou la Reine Sorcière (remarquablement interprétée par une Michelle Pfeiffer qu’on n’avait pas vue si inspirée depuis Batman – le défi) légitime pleinement cette adaptation. Là où Stardust, le roman, usait de la plume doucement lyrique et de la culture encyclopédique de Gaiman pour écrire ce qui reste probablement, avec La Fille du roi des Elfes de Lord Dunsany et À la croisée des mondes de Philip Pullman, le plus beau des contes de fées « pour adultes », le film a clairement compris que certaines contraintes visuelles et de rythme ne lui permettaient pas de rivaliser.
Et donc, la grande intelligence de ce film est, comme les grands noms de la féerie cinématographique des années 1980, d’avoir compris que le cinéma peut exprimer une féerie qui lui est propre, avec son propre langage, sans avoir à coller à un texte connu – ce qui handicapait notamment les premiers épisodes d’Harry Potter. Le plus éclatant exemple en est Claire Danes, dont le visage et le jeu d’actrice illumine le personnage d’Yvaine, et à qui les effets numériques rajoutent périodiquement un chatoiement visuel (elle brille – car que peuvent faire d’autre les étoiles ?) du meilleur aloi. À de nombreuses reprises, le film fait ainsi le meilleur usage possible de ses effets numériques, sans pour autant se laisser étouffer par ceux-ci. Et si le film sacrifie à de nombreux aspects de la doxa qui préside à son genre, il conserve par moment une grâce propre, une grâce que l’on espérerait voir véritablement éclater – en vain, hélas.
Neil Gaiman s’était associé à l’illustrateur Charles Vess pour produire une édition magnifiquement illustrée de son Stardust, et l’on pourrait regretter que le film ne reprenne qu’une part infime de cet exceptionnel storyboard. Cela étant, Stardust le film pourrait bien constituer une étape pour le cinéma « à effets » puisque, pour la première fois, un film à très gros budget (65 millions de dollars, au bas mot) ne se contente pas d’exposer cet argent à l’écran, mais le met au service d’un récit et d’une mise en scène. La mise en scène, certes, reste sage, et le récit, conforme aux attentes d’un film familial gentil de fin d’année. Mais le premier pas est fait : il ne reste qu’à espérer que l’adaptation d’À la croisée des mondes, à la fin de l’année, enfonce le clou, et annonce la naissance réelle du cinéma féerique de l’ère numérique, débarrassé de ses tendances simplement démonstratives.