On en viendrait presque, parfois, à regretter le bon vieux temps du code Hays, quand la censure en vigueur dans l’industrie hollywoodienne contraignait ses artisans les plus inspirés à évoquer en sous-main et avec des trésors de finesse et d’invention les sujets qui heurtaient la morale puritaine. Avec le temps, l’évolution de ce qu’on constate ici et là dans ce cinéma ressemble un peu à un retour de balancier. Hier, on pouvait déceler derrière les façades proprettes de certains films la transgression et l’acuité. Or un pan de la production actuelle, alors que la libération des mœurs a été bien digérée par l’industrie, tend à révéler sous un attirail progressiste des discours qui le sont moins, voire franchement rétrogrades (citons en vrac : Anges et démons, 17 ans encore, …) — en tout cas bien compromis avec l’impératif de satisfaire sans risques le plus grand nombre. C’est particulièrement vrai dans le domaine qui nous occupe très explicitement avec Toy Boy : le sexe.
Quelques films plus hardis que les autres arrivent à tourner leur contrainte industrielle de grand écart entre audace et conformisme à leur avantage pour conserver un minimum d’aplomb (citons ces deux comédies récentes aussi grasses que bienvenues : Rien que pour vos cheveux et Very Bad Trip). Toy Boy, malgré son sujet à fort potentiel de scabreux, se veut plus fin et plus malin que les exemples susnommés. Dès les premières secondes de voix-off au nasillement forcé d’un Ashton Kutcher trop heureux — au point de coproduire le film — d’ajouter à son CV un rôle de jouisseur cynique, on comprend qu’on aura droit à un de ces contes moraux narrés du point de vue d’un intervenant pas très net observant un microcosme encore plus glauque, le sien, avec le regard distancié et ironique de circonstance. C’est presque un genre en soi, rassemblant le meilleur comme le pire depuis Les Affranchis de Scorsese (même au Brésil, La Cité de Dieu et ses dérivés en ont abusé). C’est surtout fait de procédés devenus un peu faciles à la longue, pratiques pour faire endosser à peu de frais à un scénariste ou un réalisateur des habits tout faits d’observateurs critiques de la société, sans obligation de tenir une position sincère et ferme face à ce qu’on pointe du doigt.
Retour de gourdin
Le moins attendu de Toy Boy — mais sans doute n’osions-nous simplement pas l’anticiper — reste peut-être l’application servile avec laquelle il va enfiler comme des perles les lieux communs les plus éculés sur la société individualiste sans morale, le chemin de croix de l’âme de la bassesse clinquante à la modestie rédemptrice, et la beauté incomparable du sexe quand il reste bien hors champ et quand il y a de l’amour dedans. Le personnage de Kutcher, sorte de sous-Bel-Ami de L.A. visant l’American dream à sa manière, trouve argent et foyer en devenant l’amant d’une riche bourgeoise de dix ans de plus que lui, et profite de la baraque luxueuse pour y inviter régulièrement ses autres conquêtes. La voix off de l’antihéros commente complaisamment ses subtiles techniques pour optimiser ses charmes et manipuler ses proies, tandis qu’il satisfait celles-ci dans tous les coins et toutes les positions. Il est rare que dans un film hollywoodien, un tel mépris de la morale, même pour amuser la galerie, soit laissé débridé très longtemps. Ici, on veille au grain : tombé inopinément amoureux d’une jolie serveuse, notre Bel-Ami se fait Saint Paul et se repent, milite pour le respect-des-femmes-qui-ne-sont-pas-des-objets (le féminisme a bon dos), se prend en pleine poire le retour de bâton de sa vie de turpitudes passée, se retrouve à la rue et reprend son ascension sociale de zéro par des moyens plus conformes à la bienséance, c’est-à-dire en usant de ses seules mains. Fin de la leçon, où le spectateur n’aura guère appris qu’une chose : que l’enseignant, une certaine industrie cinématographique, ne semble pas non plus vouloir apprendre grand-chose pour son propre bien, continuant de se recroqueviller sur de vieux schémas dramatiques et discursifs rassurants car flattant le conservatisme, quitte à racoler un peu l’œil et l’intellect pour pouvoir mieux ériger en retour sa posture de père-la-morale.
Les interludes olé-olé de la première moitié du film permettent tout juste de ne pas s’étonner longtemps de retrouver le réalisateur écossais David Mackenzie en porte-voix roublard de ce frigide prêchi-prêcha. L’auteur de Young Adam et de My Name Is Hallam Foe est toujours à son aise pour fignoler des scènes de sexe bien explicites comme il faut tout en esquivant la pornographie : au point qu’ici, il se prend même à rendre la bagatelle amusante, filmant l’activité sexuelle de Kutcher comme des suites de gags visuels. Mais c’est un peu là que le bât blesse : si on ne peut reprocher à Mackenzie d’être un jouisseur (si tant est que ce soit sincère, ce qu’on peut se demander), Toy Boy ne fait que confirmer à quel point, chez ce cinéaste, la représentation du sexe s’est réduite de film en film à un plaisir d’écolier sans conséquence, de petits moments de récréation pour amuser la galerie, mais surtout dans des projets bien plus corsetés et rigides. C’est que hormis ces inoffensives incartades, lui et son film n’ont guère à proposer que le moralisme formaté aux relents de renfermé qui régissent les péripéties de l’antihéros en quête de conscience. Le scénario prémâche le travail du discours passe-partout à formuler, jusque dans les quelques pistes intéressantes qu’il ouvre mais dont il envoie les conclusions au lance-pierres (c’est un monde de putes et de parasites, dont l’hypocrisie sous-tend la cohésion sociale la plus élémentaire). Et Mackenzie, histoire de se donner un ton, se replie dans un camouflage miteux semblable à celui de Hallam Foe, les atours du conte philosophique avec métaphore en sus (le générique de fin en plan-séquence sur un crapaud digérant une souris). Son toy-boy peut bien forniquer à tout va : ici, la chair reste in fine tristounette et ce devoir appliqué tout sauf sexy, voire faux-cul.