Mélange délicat d’absurde et de mélancolie, le nouveau film de Sébastien Betbeder suit le parcours d’Arman, plus vraiment jeune homme mais pas encore adulte, qui décide de prendre sa vie en main à l’aube de ses trente-trois ans. Le destin lui fait croiser la route d’Amélie au jardin du Luxembourg : se dessine alors la promesse d’une grande histoire d’amour à travers laquelle chacun va pouvoir se raconter. Sauf qu’en prenant le parti de faire ressortir le dérisoire de chaque situation (et de chaque personnage), le réalisateur donne le ton : pas de fausses promesses sur l’unité du couple et sur la solitude enfin vaincue. Ici, chaque personnage affirme une subjectivité dont les mots se font l’incarnation maladroite, butant sur une réalité qui fait de cette bataille un combat perdu d’avance. Seuls contre un tout qui ne traduit l’intériorité d’aucun, les protagonistes de 2 automnes, 3 hivers se construisent une mémoire d’impressions et de sentiments, conscients d’un présent qui leur glisse entre les mains, annonçant un futur de plus en plus incertain.
Pour autant, il n’est jamais question d’inaptitude au bonheur dans le film de Betbeder. La petite dépression qui menace chaque personnage devient étonnamment le moteur d’un récit généreux en moments tragi-comiques ou absurdes. Complètement bipolaire, le film alterne entre euphorie et baisse volontaire de régime, donnant toujours un peu plus de profondeur à cet exercice introspectif plutôt jubilatoire. Le réalisateur ne cache pas certaines influences télévisuelles : on pourrait par exemple parler de la série Bref – bien que cette comparaison soit relativement peu flatteuse – dans cette manière de découper chaque situation absurde pour en faire ressortir subitement l’abîme qui s’y dissimule. Mais il ne faudrait pas réduire le film à ses effets et à la performance de Vincent Macaigne (acteur en vogue cette année, entre La Bataille de Solférino et La Fille du 14 juillet) : plus que tout, c’est ici le mot qui prime par sa force évocatrice et l’épanchement solitaire qu’il se met à peupler.
En alternant scènes de la vie quotidienne et monologues des personnages face caméra sur un fond pauvre, le réalisateur prend le parti d’une artificialité qui rompt complètement avec la tentation d’un certain naturalisme. Sous cloche mais libérés de leur rapport à l’autre (et donc à cette solitude que chaque relation scelle plutôt qu’elle ne guérit), les personnages de 2 automnes, 3 hivers se donnent la liberté de réécrire de leur point de vue une situation qui a déjà été vue. Mais cette répétition, qui n’a rien de redondant, ne fait que révéler le décalage et les interférences affectives qui isolent chacun d’entre eux d’une réalité collective. Car après tout, peu importe : c’est la liberté du verbe et la légèreté du mot qui donne à chacun ses propres armes contre un désenchantement qui isole irrémédiablement l’avant et l’après. Il n’est pas fréquent de voir un film conjuguer à ce point douceur et lucidité.