On a pu remarquer ces derniers temps une nouvelle mini-mode, un mélange des genres particulier : l’inscription du fantastique dans une époque passée. Super 8 ou Cowboys et Envahisseurs injectent les aliens dans des époques révolues, tandis que dans X-Men : Le Commencement et Captain America, on s’amuse à réécrire l’Histoire en « révélant » une secrète intervention de super-héros. La navigation en eaux historiques est plus courante lorsqu’il s’agit de films de vampires – longévité oblige. A priori rien de particulièrement original, donc, à ce que le film de Timur Bekmambetov se déroule au XIXème siècle, sauf que tous les chasseurs de vampires ne sont pas présidents des États-Unis.
L’Abraham Lincoln que nous découvrons ici est d’abord un enfant, témoin du meurtre de sa mère par un être aux canines saillantes. Il sera dès lors guidé par une indéfectible soif de vengeance envers l’espèce vampirique dans son ensemble : sur le papier déjà, on a vu plus fine façon de réécrire l’Histoire. Bien éloigné des films sus-cités, Abraham Lincoln, chasseur de vampires s’avère effectivement dénué de toute coquetterie vintage. Timur Bekmambetov s’arme d’un premier degré à toute épreuve, ce qui est sans doute plus raisonnable puisque la subtilité n’est pas son fort. Dès les premières scènes du film, alors qu’Abe est encore enfant, on nous indique que son meilleur ami est noir, comme pour justifier l’anti-esclavagisme du futur homme d’État… Les détails biographiques expliqueraient également son opiniâtreté durant la guerre de Sécession : le Sud est non seulement esclavagiste, mais aussi gouverné par la race des tueurs de maman.
Mais la grossièreté immédiate et évidente du film a au moins un avantage : elle discrédite d’emblée les aspects politiques et historiques du récit et désamorce l’agacement que leur ineptie aurait pu provoquer. Causalité ultra-simpliste, accumulation d’« heureux hasards », surlignage des références historiques : le film pratique un art de la narration tout à fait décomplexé, débarrassé de tout souci de vraisemblance comme de la moindre tentative de stimulation intellectuelle.
Le plaisir viendra donc d’ailleurs. Du fait, par exemple, que le traumatisme d’enfance d’Abe le rend capable de couper un arbre d’un seul coup de hache. Ou que la force surhumaine des vampires leur permet de se servir de chevaux comme projectiles – on ne pourra pas dire que ce film-là n’exploite pas les possibilités de la 3D… Dans une recherche constante de maximisation de ses effets, Timur Bekmambetov ponctue les scènes de bagarre de moments de stase rendant chaque coup plus percutant. Il multiplie les angles qui magnifient l’action et n’hésite pas à bombarder littéralement le spectateur des objets les plus divers. D’abord centrée sur des duels humain-vampire, l’action gagne en ampleur à mesure qu’Abe gagne en pouvoir politique. Les rixes grossissent jusqu’à devenir de véritables batailles, crescendo qui se conclut par une épique séquence qui voit Abe et ses acolytes attaqués par une horde de vampires tandis que le train qui les conduit traverse un pont de bois enflammé.
Sans s’intéresser particulièrement à la figure du vampire, Timur Bekmambetov utilise la liberté que lui donne le fantastique pour nourrir son goût de l’outrance visuelle. Typiquement, les suceurs de sang sont ici dotés de gueules repoussantes, aux dents plus acérées les unes que les autres. Cette puissance de feu déployée à tous les niveaux, par sa démesure même, finit par divertir ; on sort de la projection avec le sentiment que le sacrifice de l’élégance et du raffinement n’aura pas été tout à fait vain.