Cowboys & Envahisseurs convoque quelque chose de l’esprit décomplexé des comics et des séries B, voire Z, se plaisant à croiser sans vergogne les genres et les époques ; il y a quelque chose d’assez réjouissant dans l’application « idiote », souvent drôle mais sans aucun second degré, du programme annoncé par son titre. L’ampleur de ses moyens et sa vague prétention au sérieux, qui ne sont certes pas celles de la série Z, rendent le résultat un rien bâtard, mais loin d’être inintéressant.
Étrange, quand on y pense, que la supposée supériorité technologique des habitants d’outre-espace ait presque toujours été imaginée au présent ou au futur dans les romans, les films ou les séries de science-fiction… Si avancée technologique il y a, pourquoi ne se serait-elle pas mesurée à notre espèce dans le passé ? Plusieurs œuvres ont postulé une telle hypothèse (l’album de Tintin Vol 714 pour Sydney, par exemple), mais rares sont celles qui en ont fait le moteur même d’une action située à une époque révolue. Cet été, Super 8 – avec lequel Cowboys & Envahisseurs partage la hantise de l’abduction d’humains par les extraterrestres – remontait dans un passé proche (1979) pour des raisons intimes : enfance d’Abrams, hommage à son mentor Spielberg. Si retour à l’enfance il y a ici, c’est de façon bien moins personnelle et bien plus régressive : une régression à l’âge où l’on joue avec des figurines de cowboys et d’indiens et des vaisseaux spatiaux…
Le film remonte au XIXe siècle – une époque où la science-fiction existait déjà (Jules Verne, H.G. Wells), mais plutôt ancrée dans un contexte industriel, remplacé ici par l’Ouest fraîchement colonisé. On pourrait dès lors attendre une relecture du western et de la science-fiction à l’aune de leur rencontre, qui exploiterait la belle et radicale nouveauté de la menace venue du ciel dans un genre travaillé par la planéité des grands espaces, l’organisation de la communauté, l’absence totale de transcendance. Inutile : Jon Favreau, artisan intuitif (Iron Man 1 et 2) mais sans génie, n’a pas cette intelligence théorique des genres et ne prétend pas en renouveler les conventions. Inutile, également, d’attendre du film une grande puissance politique dans sa relecture de l’Histoire des États-Unis. L’invasion extraterrestre, repoussée avec astuce et sens du collectif par les humains, n’aura aucune conséquence : la parenthèse se referme, la marche du monde peut reprendre son cours normal. Les Blancs et les Indiens ont beau avoir collaboré, rien n’est réellement problématisé de leurs relations passées et à venir…
Il y a pour autant quelque chose d’assez savoureux – et, mine de rien, un renversement pas anodin – dans le fait de voir débarquer les Indiens dans le film comme surgissait autrefois la cavalerie nordiste : pur deus ex machina, improbable mais intensément souhaité. Et cette collaboration, même si elle ressemble à une réconciliation facile face à un nouvel ennemi commun, permet tout de même aux Blancs de prendre du recul vis-à-vis de ce qu’ils ont fait subir aux indigènes : une colonisation, une intrusion. Leçon un peu naïve, certes. Mais derrière la ligne claire de sa mise en scène apparemment dénuée de tout inconscient, le film se laisse mine de rien travailler par le motif du viol, qui revient sous diverses formes (la très troublante vision d’un visage de femme, hagard et traversé de suggestives secousses ; le vaisseau vertical enfoncé dans la terre ; les extraterrestres visqueux…). Les ennemis d’hier peuvent devenir les amis d’aujourd’hui, mais il y aura toujours un Autre, un étranger (« alien ») contre qui se dresser si ses intentions s’avèrent hostiles (en l’occurrence, venir piller l’or sur Terre – pas anodin, par les temps qui courent) : voilà l’inquiétude qui rend moins décérébré qu’il n’y paraît ce WTF-movie.
Et puis il y a les yeux d’Olivia Wilde, ingénieuse idée de casting : déjà une alien en soi, avant même l’apparition de tout véritable extraterrestre…