À force d’exploiter le filon du superhéros, les studios prennent le risque de l’épuiser. Déjà réduits à racler les fonds de tiroir (cf. l’improbable Green Lantern), ils doivent faire face à une relative érosion des entrées en salles, alors même que le budget de ces films ne cesse d’enfler – notamment à cause de l’usage de la 3D, qui alourdit considérablement les coûts de postproduction sans forcément attirer plus de spectateurs en salles. Ces conditions ne favorisent pas vraiment la prise de risque, ce dont témoigne ce Captain America qui ne semble exister que pour préparer la sortie du prochain épisode de la saga Avengers.
Steve Rogers est un gringalet asthmatique qui se fait régulièrement maltraiter par plus costaud et plus méchant que lui. Pourtant, il n’hésite jamais à se mettre en danger, compensant sa faiblesse physique par une grandeur d’âme et une ténacité jamais prises en défaut. Alors qu’il se morfond de ne pas être jugé médicalement apte à aller servir son pays dans sa guerre contre Hitler, il est repéré par le Dr Erskine, un savant qui cherche un cobaye pour un traitement destiné à créer des supersoldats. Ce qui tombe bien, car, côté allemand, l’infâme Johann Schmidt, alias Crâne Rouge, vient justement de s’emparer du mythique Cube Cosmique et de s’approprier ses pouvoirs incommensurables…
Dans la mythologie Marvel, Captain America est le premier superhéros – le « First Avenger », donc. Destiné à concurrencer Superman (créé trois ans plus tôt par l’éternel concurrent, DC Comics) sur le marché des collants bleus, c’est un personnage assez fade, dont l’absence de charisme n’est contrebalancée par aucun superpouvoir délirant : il est juste doté d’un corps parfait que vient encore renforcer une rectitude morale à toute épreuve. Affublé d’un costume et d’un bouclier siglés aux couleurs de l’Amérique, il est avant tout l’expression du nationalisme états-unien : sa première apparition dans Marvel, en 1941 (quelques mois avant Pearl Harbor), le montrait déjà en train de mettre Hitler K.O. Il rempilera dans les années 1950 pour combattre le nouvel ennemi de son pays : le communisme.
Pour la rendre plus aisément exportable, les scénaristes de cette adaptation cinématographique ont gommé les aspects les plus caricaturalement chauvins du personnage : avant d’être le superhéraut de l’Amérique triomphante, Steve Rogers est un type bien, un gentil boy-scout qui n’éprouve aucune haine particulière contre les ennemis de son pays, mais qui cherche avant tout à empêcher les brutes de s’en prendre à plus faible qu’eux (et quelles pires brutes que les nazis, dans l’imaginaire hollywoodien ?) Si ce ripolinage postmoderne aseptise l’œuvre originale, il nous vaut les meilleurs moments du film : quand Captain America, transformé contre son gré en instrument de propagande, se retrouve à faire la retape pour l’armée sur un plateau de music-hall, ou quand il se produit devant des soldats qui le huent et se gaussent de son costume et de son message.
Ces passages à l’ironie mordante ressortent avant d’autant plus de force qu’ils sont les seuls à témoigner d’un minimum d’audace et d’originalité. Calibré pour ne déplaire à personne et repompant tout ce qui s’est fait, souvent en mieux, avant lui, le film souffre d’une absence de personnalité et d’inspiration si flagrante que c’en devient embarrassant. Captain America : First Avenger illustre en effet le nouvel académisme du héros costumé, avec son obsession des origines qui nous vaut d’interminables scènes d’exposition, sa tête d’affiche dépourvue de charisme (Chris Evans), sa musique tonitruante et son humour potache qui masque mal le sérieux imperturbable de l’affaire. Tous les clichés du genre sont méthodiquement inventoriés, avec une application de collectionneur : les explications risibles à base de rayons Vita et de Cube Cosmique d’Odin, les tirades grandiloquentes du méchant de service (Hugo Weaving, étonnamment peu convaincant), aux plans rigoureusement incompréhensibles, les traits du héros qui se crispent quand son mentor trépasse dans ses bras ou quand son meilleur ami disparaît sous ses yeux, la femme amoureuse qui le surprend dans une situation embarrassante, l’escouade de faire-valoir dignes d’une publicité Benetton (le Noir, l’Asiatique, le Français…), etc.
La mise en scène de Joe Johnston ne rachète pas les faiblesses de ce scénario sans idées : aussi dépourvue de personnalité que le Captain America, elle n’apporte aucun souffle épique au film, et ne vient jamais huiler l’enchaînement mécanique de ses péripéties. À tous les niveaux, ce croisement incertain entre X-Men : le commencement (le combat occulte qui aurait opposé, pendant la Seconde Guerre mondiale, les gentils mutants américains contre les méchants Übermenschen nazis) et Spider-Man (le souffre-douleur malingre devenu surhomme, fantasme dans lequel sont invités à se projeter les geeks du monde entier) souffre des comparaisons qu’il suscite inévitablement. Et est-il besoin de préciser que la 3D n’apporte pas grand-chose, à part quelques effets faciles (divers projectiles sont régulièrement envoyés à la tête du pauvre spectateur), une perte certaine de luminosité et quelques maux de tête en fin de projection ?
Prévisible de bout en bout, oublié sitôt consommé, Captain America n’éveille qu’un ennui poli. D’où vient pourtant qu’on attende avec une relative curiosité la suite, Avengers, qui sortira en 2012 et réunira les têtes d’affiche de cet univers (Iron Man, Thor, Captain America et Hulk) ? Peut-être parce qu’il sera écrit et réalisé par Joss Whedon, scénariste doué (Alien, la résurrection) et auteur de séries passionnantes (Buffy contre les vampires, Firefly, Dollhouse…). Il s’en tirera peut-être mieux que l’impersonnel Joe Johnston… à condition que le studio Marvel lui laisse les coudées franches. Ce dont on ne peut, hélas, s’empêcher de douter.