« Elle est retrouvée ! — Quoi ? — L’Éternité. C’est la mer mêlée au soleil. » Même si Le Rayon vert prend comme point d’appui un autre poème de Rimbaud (Chanson de la plus haute tour), il épouse parfaitement cette vision de l’éternité rimbaldienne. Si le rayon vert en tant que phénomène atmosphérique est bien ce point de friction lumineuse né du croisement du soleil et de l’océan, il symbolise également l’épiphanie amoureuse que se languit de connaître l’héroïne à fleur de peau du film, Delphine (Marie Rivière). Lauréat du Lion d’Or au Festival de Venise en 1986, ce cinquième et avant-dernier opus du cycle Comédies et proverbes ausculte les effets pernicieux de la versatilité féminine et l’enfer de la solitude. Une chronique d’été existentielle irradiée de gravité.
Paris, lundi 2 juillet. Un bureau, le téléphone sonne. L’appel est pour l’une des secrétaires des lieux, Delphine. Brune, la trentaine, jolie. « Allo ? » Mauvaise nouvelle. Une amie la prévient, légèrement gênée sans doute, qu’elles ne pourront plus passer leurs vacances d’été ensemble. Inoffensif en apparence, cet imprévu va bouleverser la jeune femme. Soudainement confrontée à sa solitude, l’angoisse l’attrape à la gorge et ce n’est que difficilement qu’elle tentera de s’en défaire pendant les semaines suivantes. Entre désinvolture et crises de larmes, Delphine ne semble plus trop savoir ce qu’elle veut. Parfois, elle voit même rouge (la couleur qui la définit le plus à l’écran vestimentairement parlant). Déboussolée, dépaysée en tous lieux. En un mot, larguée ; au propre comme au figuré. Se sentant « ailleurs ».
Dans un premier temps, ses nombreuses discussions en famille ou entre amis sur ses possibles destinations de secours (mer, montagne ou étranger), ne l’apaisent pas. Au contraire : la voilà blâmée pour son côté casanier (pourquoi ne partirait-elle pas seule en Espagne chez la grand-mère d’une amie ?), voire misanthrope ou chichiteux. Lorsqu’elle se résout malgré tout à quitter la capitale pour Cherbourg, puis pour La Plagne, elle n’en ressort que plus désemparée, meurtrie, revenant entre temps à son point de départ – Paris, cette ville désertée à fuir finalement à tout prix. Pour aller où ? C’est bien là le souci… Car même lorsque l’aubaine d’une destination de rêve se profile à l’horizon par pur hasard – Biarritz –, l’animation clinquante des plages et le bagou libertin de Léna, une jeune Scandinave avec qui elle se lie d’amitié, ne l’empêchent pas de broyer du noir. A l’ombre des verdures ou sous la lumière crue du soleil, une blessure au cœur étreint Delphine. « Qu’il vienne, qu’il vienne/Le temps dont on s’éprenne. »
Au tout début du Rayon vert, Marie Rivière s’arrête devant une affichette colorée vantant les mérites de stages en développement personnel. Message subliminal : « Retrouvez le contact avec soi-même et les autres ». Complice, la caméra capte d’autres signes au fil de sa course initiatique : chats noirs, et surtout, cartes à jouer. Une première carte de couleur verte est ramassée à Paris. Pour Delphine, qui privilégie ce genre de « superstitions personnelles » aux attitudes pro-actives, cette Dame de Pique est de bien mauvais augure – symbole par excellence de la femme abandonnée. Plusieurs semaines plus tard, gros plan sur un Valet de cœur déniché entre les rochers de Biarritz. Chaque vision de ces signes est d’ailleurs ponctuée par la triste fugue imaginée par Jean-Louis Valéro à partir d’un thème monodique créé par Rohmer. En tout cas la belle reprend espoir, surtout lorsqu’elle surprend la conversation d’une poignée de promeneurs discourant sur les pouvoirs du rayon vert – SA couleur. Pour l’heureux observateur du phénomène, il serait ainsi possible de « lire dans ses propres sentiments, et dans les sentiments des autres ». Sur le point de rentrer plus tôt que prévu à Paris, Delphine s’aperçoit qu’elle a eu raison en son for intérieur de croire à la promesse du rayon. Vincent, un jeune ébéniste séduisant l’embarque in extremis avec lui à St-Jean-de Luz. Le rayon vert est au rendez-vous, assistant à l’éclosion d’une alchimie amoureuse inattendue. « Ah ! Que le temps vienne/Où les cœurs s’éprennent. »
Filmés avec une grande intensité, les derniers plans du Rayon vert enferment en eux toute la véracité émotionnelle et la poésie chromatique dont peut faire preuve ce film finalement épuré (malgré ses touches kitsch). Jouant en grande partie dans l’improvisation, tour à tour émouvante, irritante, inspirée ou fragile, s’il n’y avait qu’une image à garder de Marie Rivière ce serait celle de son visage en larmes, le corps fouetté par les vents de la campagne normande, le regard bleu-vert délavé de tristesse. Effet de persistance rétinienne assuré.