Alors que Femmes du Caire, le film précédent de Yousry Nasrallah, s’intéressait, de son propre aveu à « la peur du public, l’obligation de le caresser dans le sens du poil », Après la bataille met en scène différentes représentations de son pays. Un an après la Révolution qui a secoué l’Égypte et poussé Hosni Moubarak loin du pouvoir, le cinéaste filme, au Caire, l’histoire d’une pasionaria galvanisée par le désir de lutte, qu’elle voudrait inculquer à l’entièreté de la population de son pays. Malheureusement, pour le spectateur parisien de 2012, on peut regretter, en paraphrasant Chris Marker citant Racine, que « l’éloignement » du « pays » ne suffise pas à « réparer la trop grande proximité des temps ».
Révolutionnaire, Reem l’est corps et âme, elle qui manifeste place Tahrir et qui siège dans des comités de réflexion sur les bouleversements politiques que connaît son pays. Elle aussi, qui a fait fi, dans sa vie personnelle, de l’ordre patriarcal égyptien en divorçant, et qui s’interroge sur le rôle social de son métier de publicitaire. Les chamboulements politiques représentent pour elle une occasion de se questionner sur le rôle de l’image dans l’identité égyptienne et dans la perception de la révolte. Après la bataille commence en effet par des images amateurs filmées lors de la manifestation du 2 février 2011 au cours de laquelle des chameliers et cavaliers de Nazlet, quartier proche des pyramides, s’en sont pris à la foule avant d’être, pour certains, molestés à leur tour. Nasrallah fait alors voisiner le style de son film avec des images qui suggèrent l’amateurisme, la prise sur le vif avec les films publicitaires très léchés, que produit l’agence de Reem, et qui vend une Égypte aseptisée pour touristes. Se mêlent également les images de journaux télévisés et celles filmées par la jeune femme avec sa caméra. À travers cette confrontation des styles, Nasrallah pose bien la problématique et l’enjeu de son sujet : quelle image de l’Égypte pour quel point de vue ?
Le désir de faire un film en pleine mutation politique et sociale de son pays est bien compréhensible, et Nasrallah convoque la filiation de Rossellini qui a filmé l’Italie détruite. Le cinéaste égyptien reprend en effet la trame d’Europe 51 dans laquelle Ingrid Bergman incarne une grande bourgeoise qui s’immerge dans la classe laborieuse au point de se couper de son propre milieu. C’est le cas de Reem lorsqu’elle s’éprend de l’un des cavaliers honnis par les révolutionnaires. Sainte Reem comprend alors que la réalité est plus complexe que ce qu’elle imaginait de son simple point de vue militant. Elle envisage que la Révolution a fait fuir les touristes, contraignant à l’indigence ceux qui en vivaient. En suscitant chez Reem la conscience, selon la formule de Jean Renoir à propos de la Règle du jeu, que « tout le monde a ses raisons », cela l’amène à vouloir convertir sans délai tous ses interlocuteurs. En pasionaria, elle ajoute à son emploi du temps bien rempli par ses problèmes de cœur, son travail et son engagement dans la Révolution le devoir de régler les problèmes d’école des fistons du cavalier, d’émanciper sa femme, et de politiser ses amis. À l’exception de quelques menus instants où la mise en scène se détend un peu pour laisser la parole aux habitants figurant dans le film, tout est démonstratif à l’excès et l’on se sent comme à l’école face à un exposé trop long. Ainsi, cette plongée chez les dubitatifs de la Révolution manque son but de dévoiler la complexité des événements en assénant les « bonnes » décisions à prendre.
Nasrallah revendique le passage par la fiction pour rendre compte d’événements historiques très récents, mais les personnages y sont trop archétypaux. Figures en tous points opposées, Reem et Mahmoud, le cavalier, incarnent deux facettes opposées de l’amour du pays. Lui, nostalgique de son enfance et inquiet du futur, vit dans le quartier des Pyramides (comprendre, du passé). Elle habite les beaux quartiers de Zamalik, croit en l’avenir et en la jeunesse de son pays. Chacun d’eux représente un rapport inverse à l’Occident : lui maintient en vie les traditions auprès des touristes en se livrant à la pittoresque activité de la danse à cheval, elle promeut à travers des spots publicitaires une Égypte occidentalisée. En voulant raconter une histoire d’amour, l’histoire d’une famille, la vie d’un quartier économiquement miné par la Révolution, etc., Nasrallah finit par ne donner de chaque élément que des clichés superficiels. Si bien qu’Après la bataille souffre que sa forme très narrative soit sans cesse trouée d’un discours militant sous-jacent qui transforme le film en un long ciné-tract.