Dans le cadre de la rétrospective rendue à Yousry Nasrallah, fils spirituel de Youssef Chahine – dont il fut l’assistant –, on a pu (re)découvrir un cinéaste précieux qui dépeint depuis vingt ans et en six films les moments clés de l’histoire égyptienne, de Nasser à Moubarak, mais aussi de l’histoire même du monde arabe. Cet auteur, par son discours engagé, démontre sa belle résistance à toute forme d’intégrisme, de censure et de bêtise.
À l’occasion de sa venue à Belfort, le cinéaste nous a livré une belle leçon de cinéma, pendant laquelle il a notamment évoqué ses relations avec Youssef Chahine. Nasrallah a beaucoup appris de la précision du regretté cinéaste qui écrivait chaque détail de ses films, même les plus anodins – tout particulièrement sur le tournage du 6ème Jour. Tout comme Chahine, Nasrallah a travaillé avec la France afin d’échapper à la censure de son pays et la pression liée aux financements venant d’Arabie Saoudite. Entrevues fut alors essentiel pour lui, car il y rencontra Claire Denis qui participa à l’écriture de La Ville (1999) et Pierre Chevalier d’Arte qui lui permis de financer ses œuvres. À propos des garçons, des filles et du voile (1995) est le film le plus important de son œuvre, car il a modifié son rapport au cinéma. Dans cette œuvre, l’auteur présente une société islamique en plein sursaut intégriste. Les contraintes du voile sont alors plus forte qu’il y a vingt-cinq ans mais les jeunes rusent afin de contourner les contraintes de l’ordre moral. Grâce à ce documentaire, l’Égyptien a décidé de donner plus d’importance à l’individu. En filmant de manière documentaire, le cinéaste regarde enfin les gens et non plus lui-même. Ce fut aussi sa plus grande leçon de scénario car il devait construire un film avec beaucoup de rushs tout en faisant attention aux enjeux éthiques. Selon lui, le montage est alors « affaire de morale ». Cette expérience documentaire était aussi la possibilité de rencontrer des mondes qu’ils ne connaissaient pas, contrairement à ses précédents films qui décrivaient un univers lui étant proche. Selon Nasrallah, le rôle du cinéma est de donner une forme fictionnelle au chaos. On retrouve cette idée dans ses films qui adoptent une forme s’adaptant à un fond chaotique gangrené par le discours réactionnaire de son pays. Surtout, comme l’indique l’auteur, son cinéma parle de l’individu et de l’histoire mais jamais de l’individu victime de l’histoire où d’une histoire qui domine l’individu. On sent alors l’auteur très attaché à la notion de libre arbitre.
Cette rétrospective, nous a permis de voir le nouveau film de Nasrallah, L’Aquarium, qui est l’un de ses films les plus radicaux. Il s’agit d’une œuvre à la forme étouffante par son autisme. Il nous raconte l’histoire de Laïla, animatrice d’une émission de nuit à la radio, qui donne conseil à ses auditeurs. Celle-ci va croiser le chemin de Youssef, un anesthésiste qui aime écouter ses patients avant leur sommeil. L’Égyptien nous décrit une société fermée, dans laquelle les individus cachent constamment leur vie intérieure. Le film nous montre une Égypte qui est baignée dans la peur, ce qui est métaphorisé dans le film par l’apparition de la grippe aviaire. Les personnages sont confinés dans cette terreur ainsi que dans un discours réactionnaire et fondamentaliste qui a cours depuis les années 1980. Par sa forme « fermée », L’Aquarium est en parfaite adéquation avec son sujet. Les seuls moments d’ouverture sont de très belles séquences où les acteurs, comme épuisés par l’atmosphère lourde du métrage et l’autisme de leur personnage, livrent leur réflexion en s’adressant directement aux spectateurs.