Away We Go est l’exemple parfait de la fausse bonne idée : un film léger tourné dans des délais très courts, sans vraies stars et avec peu de moyens, co-écrit par une star des Lettres aux États-Unis, Dave Eggers. Un Broken Flowers moins indé mais plus accessible, avec une galerie de personnages pittoresques censés offrir une vision décalée, drôle et attendrissante de la famille américaine au XXIe siècle. Sur l’affiche du film, les critiques (américaines et françaises) sont extatiques. C’est drôle ! C’est émouvant ! C’est un chef d’œuvre ! Ah bon ?
Sam Mendes n’a jamais été un réalisateur très inspiré : après le carton public et critique d’American Beauty, les projets prestigieux et ampoulés se sont succédé sans convaincre. En début d’année, ses glaçantes Noces rebelles parvenaient néanmoins à susciter l’intérêt : sceller les retrouvailles du couple mythique de Titanic autour d’une intrigue aussi glauque demandait du cran, assumé avec un certain brio par un cinéaste pas toujours subtil, mais étonnamment sobre. Away We Go prend en quelque sorte le contre-pied des Noces rebelles : c’est l’histoire d’un jeune couple qui attend un enfant et décide de partir l’élever ailleurs que dans la ville anonyme et sordide dans laquelle il vit. D’une région à l’autre, Burt et Verona vont retrouver des amis, des membres de leurs familles ou de vieilles connaissances : autant de façons, pour le réalisateur et ses scénaristes, de dresser un portrait acide de leurs congénères.
Oui, mais voilà : si Dave Eggers a un talent certain pour croquer des personnages stéréotypés et désopilants dans ses romans et nouvelles, la mayonnaise ne prend pas à l’écran. Monté en une succession de tableaux représentant chacun un des États visités par le couple, le film se vautre dans une galerie de clichés lourdingues, qui sont autant de prétextes pour les comédiens de cabotiner à outrance. Cibles visées : les gros beaufs de l’Amérique profonde et les néo-hippies de la Côte Est (pauvre Maggie Gyllenhaal, obligée de surjouer l’hystérie en roulant ses grands yeux tristes dans tous les sens), les vieux cons égoïstes et les jeunes intellos dépressifs, les couples qui divorcent sans s’en apercevoir et ceux qui restent ensemble en se demandant pourquoi. Condensée en 1h38, l’étude sociologique tourne court et le propos manque gravement de consistance. C’est lorsqu’il délaisse la comédie grassouillette et que le ton se fait un peu plus grave que le film parvient à effleurer l’émotion tant recherchée : ici, un jeune couple et sa ribambelle d’enfants adoptés, dont la joyeuse harmonie cache une détresse inattendue ; là, une séparation brutale qui prend de court ceux qui en subissent les conséquences.
Dommage pour les deux personnages principaux, duo un peu fade (malgré une scène d’ouverture gonflée et réussie) qui prend de l’ampleur au fil du film : Maya Rudolph en particulier, comédienne spécialisée dans les sketches désopilants du Saturday Night Live, se révèle particulièrement touchante dans un registre plus feutré. Le périple des deux tourtereaux les mène bien entendu vers un dénouement ultra balisé mais là encore, avec un minimum d’effets, l’émotion prend à la gorge. Mendes ne cherche plus à faire rire, peut-être conscient qu’il n’en a pas vraiment les moyens ; alors, enfin, Away We Go prend tout son sens. Hélas, un peu trop tard.