Avec Cassandro the Exotico !, la documentariste Marie Losier touche au cœur de son cinéma : ce dont nous avions rendu compte dans notre article cannois, écrit par Olivia Cooper-Hadjian. Réputée pour ses portraits de l’underground new-yorkais, elle filme des « fracassés de la vie » de la même manière que Diane Arbus photographiait ses célèbres « freaks » dans l’Amérique des années 1960 et 1970. Cassandro (de son vrai nom Saúl Armendáriz), un catcheur gay en fin de carrière, est adepte de la lucha libre depuis ses dix-sept ans. La fascination de Marie Losier pour celui-ci se traduit par un rapport au corps surgissant à la manière d’un lent effeuillage lorsqu’elle s’attarde, à la sortie du ring, sur les contours de son bas-ventre, la saillie de ses muscles ou encore sa bouche colorée faisant de lui un être attachant et original.
Le temps d’une heure, elle défend passionnément son sujet bien-aimé contre les préjugés qu’il affronte depuis des décennies (entre autres, les discriminations dues à sa sexualité). Si son approche des corps est singulière – ce que l’on remarque déjà dans The Ballad of Genesis and Lady Jaye qui contait l’histoire d’amour d’un musicien et d’une dominatrix qui décident de devenir similaires au moyen de la chirurgie esthétique, le dispositif mis en place dans la découverte de Cassandro se révèle quelque peu simpliste, passant par un jeu certes voulu de questions/réponses : si l’on prend l’exemple de la scène d’ouverture (une conversation Skype), celui-ci décline, à la demande de la documentariste, nom, prénom et métier avec une naïveté quasi scolaire.
Le style de Marie Losier est certes identifiable mais ses multiples artifices empêchent de pénétrer au cœur d’un sujet poignant, du fait du balancement sporadique du flou et de la netteté, de l’oscillation constante de la caméra (résultant en de nombreuses images saccadées), des sautes d’axes (qui apparaissaient déjà dans ses précédents travaux, à l’exemple du court métrage Alan Vega – Just a Million Dreams, portrait du leader du groupe Suicide), de la cadence des 18 images par seconde (au lieu des vingt-quatre habituelles, les 16 et 18 i/s, norme pendant la période du muet) et du 16 mm. Tous ces procédés de mise en scène se réfèrent aux influences de la cinéaste – les débuts du cinéma, notamment Georges Méliès. L’excès d’ornements se manifeste aussi dans le dernier quart d’heure lorsque le format se farde d’un calque noir émaillé de feuilles dessinées approximativement comme par des mains d’enfant – seul le format resserré et arrondi est véritablement justifié par l’attrait de la documentariste pour le corps du catcheur.
Mais Cassandro the Exotico ! offre aussi des scènes émouvantes : quand la cinéaste parvient à un certain lâcher-prise, Cassandro bénéficie de l’espace et du temps nécessaires à l’extériorisation de ses maux. Il peut s’agir de séquences du quotidien – la caméra tourne tandis qu’il étend son linge ou fait du rangement et le silence, propice à la confidence, l’enjoint à faire part de son vécu sans que ses paroles ne paraissent bancales (car passant par le systématisme des questions/réponses) ; ou de séquences attendrissantes, à l’image de celle où il dépose des fleurs sur la tombe d’un parent. Car Cassandro the Exotico ! constitue à la fois un film sur le corps et sur les racines, les rituels de la culture amérindienne qui apparaissent çà et là symbolisant un monde « à la porte d’un autre » avec un discours bien réel sur les minorités.