D’autres camarades de Critikat, connaisseurs ou non de l’œuvre du Québécois Denis Côté, ont pu découvrir ce film auparavant, dans divers festivals (Locarno, La Rochelle, Paris Cinéma). Le moins qu’on puisse dire, c’est que les réceptions en ont été diverses : bel essai sur les rapports parent-enfant, poursuite fragile des recherches narratives de son auteur, machin chichiteux et hautain…
L’inconfort dans lequel Curling semble placer la critique provient vraisemblablement de la volonté affirmée de son auteur de dépasser l’histoire qu’il raconte par la manière dont il le fait. Il faut dire que s’il se limitait à ce qu’il raconte, Curling tiendrait en un court métrage. Un père élève seul sa fille, en la surprotégeant du monde extérieur. Mais expulsé par la porte, le monde extérieur revient par la fenêtre, via une série d’événements déconnectés venus s’incruster dans leurs vies. Denis Côté greffe ainsi à la trame centrale quelques visions et sous-trames « parasites » d’autant plus intrigantes – et susceptibles d’agacer par leur étrangeté marquée : un accident qu’il faut maquiller, des cadavres inexpliqués, et même un tigre – qu’elles ne sont jamais expliquées et ne montrent ni prémisses ni conclusions. À l’évocation d’une relation parent-enfant quelque peu dérangeante, se superpose une volonté du cinéaste de ne pas se sentir tenu de fournir toutes les clés de son récit, particulièrement quand les explications n’apporteraient rien au propos (au fond, à quoi bon expliquer d’où sort le tigre ?). Et pourquoi pas ? Faire du cinéma le témoin d’un monde où les vies et les événements se croisent sans qu’on en saisisse toujours les tenants et aboutissants (et sans leur en trouver artificiellement), confronter à ce monde des gens qui le refusent, en profiter pour faire se rencontrer des fragments de genres (intrusion du polar dans le portrait familial) : la démarche se rapproche de celles qui cherchent à susciter chez le spectateur un regard épuré des balises narratives conventionnelles, un regard qui ne considérerait pas tout objet comme partie d’un dispositif bien réglé.
L’ennui des prolongations
Ainsi exposée, l’intention est louable. Seulement, une fois ces éléments signifiés, subsiste la question de savoir si un métrage de cette longueur méritait d’être constitué autour d’eux. Car non seulement Côté n’a pas grand-chose à dire sur ses personnages, mais ses partis pris narratifs, une fois affirmés, peinent à tenir sur la longueur et à déboucher sur quelque chose de probant. Le développement de ses idées de cinéma tourne quelque peu en rond, devient laborieux, voire assez antipathique dans son insistance qui marque une posture rigide et peu productive. Les personnages deviennent eux-mêmes les jouets de la prolongation de l’exercice, comme cette jeune fille que le film laisse traîner avec des cadavres et dont il ne sait visiblement pas trop quoi faire, au point de se laisser aller à un malaise plus tape-à-l’œil que pertinent. Le retour du film, dans sa conclusion, à une limpidité apaisante donne à se demander si le cinéaste n’aurait pas lui-même eu conscience que sa démarche ne menait pas à grand-chose. Tel la « pierre » du sport homonyme, Curling semble ne pas se décider à atteindre le bout de sa course monotone, et n’y parvient qu’en perdant lentement son énergie.