Un titre de Bertolt Brecht nous rappelle que les ascensions ne sont pas toutes irrésistibles. Les come-backs hollywoodiens non plus, si improbables et fascinants qu’ils puissent être. Sylvester Stallone, survivant d’un certain cinéma d’action, est bien remonté en selle au nez et à la barbe des cyniques, en jouant sur une rétrospection plus (Rocky Balboa, John Rambo) ou moins subtile (The Expendables et sa suite). Cela n’a pas empêché Du plomb dans la tête de faire un bide aux États-Unis. Pas aussi jusqu’au-boutiste dans sa brutalité qu’un John Rambo, peut-être ; manquant d’un peu plus de distanciation vis-à-vis de sa propre vieille attitude de « bourrin », plus sûrement (le second degré est dans l’air du temps). Cet insuccès n’en reste pas moins regrettable, vu avec quelle intelligence discrète (car moulée dans la rudesse de celui qui se moque de flatter l’intelligence) l’acteur poursuit à travers ce film la mue mesurée de son image.
Car il faut lire entre les lignes des génériques. Si Stallone n’est crédité ici que comme acteur, laissant la production à son partenaire Kevin King-Templeton et la réalisation à Walter Hill, son personnage reste bien trop proche de l’archétype qu’il se façonne depuis Rocky Balboa pour ne pas laisser soupçonner qu’il piloterait au moins un peu la barque en coulisses (il est d’ailleurs coutumier du fait). L’archétype n’était déjà pas nouveau dans Rocky Balboa : ce n’était que la réacquisition de celui qu’il portait à l’époque des premiers Rocky et Rambo, avant que ces franchises et cette carrière ne dérivent vers des eaux moins recommandables. Ce que Stallone continue de jouer, c’est sa partition favorite du self-made-survivor, de celui qui lutte dans la jungle humaine avec les moyens du bord (la pièce de viande comme punching-ball dans Rocky, le coutelas qu’il forge lui-même dans John Rambo), évidemment peu enclin à la finasserie (même si tout le monde voudrait l’inciter au contraire, à commencer par les critiques de ses films !), rivé sur son objectif envers et contre tout, pas seulement parce que le scénario l’exige mais parce que lui-même est viscéralement incapable de faire autrement (« You know who you are » assume-t-il dans John Rambo). Personnage qui, il faut bien le dire, appelle assez bien du pied les périodes les plus sympathiques de la carrière réelle de l’acteur : la première, alors qu’il a tâché de prendre les choses en main en écrivant puis en mettant en scène ses propres rôles ; mais aussi la dernière, l’actuelle, où il s’appuie sur ses réussites et égarements passés pour rebondir.
Les vieux de la vieille
L’avatar qu’il présente dans Du plomb dans la tête est un tueur à gages chevronné qui, trahi par son commanditaire (son partenaire en est mort), cherche à se venger. Toujours adepte de la manière forte, voire des vieux outils (on le verra ainsi manier l’antique Winchester à levier, le sécateur et finalement la hache), le personnage apporte cependant quelques variantes assez intéressantes pour empêcher la lassitude et suggérer que Stallone ne se complaît pas dans ses acquis. D’abord, non seulement il arbore l’attitude de l’homme d’armes qui ne connaît que sa façon de faire, mais en plus il fait de ses motivations une vraie profession de foi, n’hésitant pas à en discourir dès qu’il en a l’occasion, en bon papy sûr de son fait (ses cheveux grisonnants coupés en brosse renforcent cet aspect). L’autre facteur de perspective bienvenue est la conscience certaine (celle du film, à défaut d’être tout à fait celle du personnage) qu’on est bel et bien face à une obstination butée, bourrée de préjugés (quelques remarques frôlant le racisme), rétive à toute alternative venue de l’extérieur, et à laquelle les faits ne donnent pas tant raison que cela : une arme n’est pas à l’abri d’un dysfonctionnement ; lui-même n’est pas à l’abri de devoir composer avec sa propre rigidité, quitte à s’infiltrer dans un bal masqué (avec le contraste comique qu’on devine), quitte à ce que la caméra elle-même brouille et ébranle son image en le filmant du fond d’une piscine tandis qu’il se débarrasse de l’arme d’un crime difficile. C’est un mérite du film et de son interprète d’acter le fait que l’attitude de roc humain inflexible a beau offrir un spectacle plutôt cool, elle reste difficile à maintenir sur le terrain.
On pouvait le craindre : à s’attarder ainsi sur un seul personnage en le laissant tirer toute la couverture à lui, le film s’expose au déséquilibre dès que d’autres enjeux font mine de se présenter. Censé être un buddy movie (le tueur doit collaborer avec le policier qui enquête sur son dernier contrat), il ne fait pas grand-chose pour sortir le pauvre partenaire (Sung Kang, vu dans les derniers Fast & Furious) du statut de sidekick pas trop ridicule, mais à la marge de manœuvre bien limitée. Plus problématique est l’inconsistance des méchants : si l’ex-star Christian Slater limite la casse (il faut dire que sa partition ne dure pas très longtemps…), Jason Momoa, lui, ne semble toujours pas avoir compris depuis Conan que la relève des « gros bras » de l’ère Reagan est hors de sa portée. Il revient au héros (et au regard posé sur lui) de se montrer assez solide pour que l’ensemble ne s’écroule pas. Heureusement, Stallone s’est entouré d’au moins un collaborateur à même, semble-t-il, de prendre le personnage assez au sérieux pour ne pas le laisser choir : le réalisateur Walter Hill, dont on peut imaginer qu’il en connaît un rayon, lui aussi, sur les affres de l’obsolescence. Autre vieille gloire du cinéma d’action, émule occasionnel de Peckinpah (pour qui il écrivit Guet-Apens), artisan plus ou moins inspiré (mais remarquable quand il l’était), Hill n’avait plus tourné au cinéma depuis son film de boxe carcéral Un seul deviendra invincible en 2002. S’il ne brille pas ici par son génie en revisitant le buddy movie auquel il avait apporté une contribution plus marquante avec 48 heures, il confère au film une solidité bienvenue en ne relâchant jamais son attention sur son personnage, son assurance et les failles qu’elle cache, et en filmant avec l’intuition de quelqu’un qui, sans prétendre révolutionner le genre, a pleinement conscience de la valeur d’un découpage efficace sans être envahissant pour témoigner de l’impact physique de l’action. Et au vu des standards sophistiqués mais approximatifs qui s’imposent aujourd’hui, un tel savoir-faire (il est vrai que ce mot peut faire peur, quand il ne traduit que l’académisme) n’est pas rien, et commence même à devenir assez précieux.
Le survivant
Pour se convaincre de la pertinence de l’approche old school mais efficace de Hill et Stallone, il suffit de se reporter aux récents échecs de deux autres vétérans du cinéma d’action des années 1980 et d’après, qui sont par ailleurs (il n’y a pas de coïncidence) tous deux apparus en guest-stars des goguenards Expendables. Hors de tout second degré, un Arnold Schwarzenegger peut-être trop confiant dans sa réplique culte « I’ll be back » a tenté son « vrai » retour au cinéma dans Le Dernier Rempart. Par ailleurs, moins en quête d’un come-back que désireux de rester dans la course, Bruce Willis remettait en service son personnage iconique John McClane dans Die Hard : Belle journée pour mourir. Ce furent deux tristes ratages, pour des raisons à peu près identiques d’un cas à l’autre. Ces héros aussi vieillissants que leurs interprètes, on avait tenté de les réactiver dans un type de divertissement singeant celui de leurs origines comme si rien n’avait vraiment changé depuis, ou presque, se contentant d’acter de leur vague obsolescence (à laquelle il s’avérait pourtant plus commode de ne pas croire) par des jeux d’acteur fatigués et de grossières ficelles de scénaristes. Et puis, le tout était emballé par des réalisateurs finalement peu concernés par le travail de leurs stars qu’ils laissaient s’affairer tout seuls avec la routine de leurs personnages, tandis qu’eux-mêmes se regardaient faire les malins à trousser des scènes d’action à la virtuosité creuse (la distanciation désinvolte, à la limite du je-m’en-foutisme, de Kim Jee-woon ; la grandiloquence inepte de John Moore). À cette aune-là, Stallone, avec sa confiance jamais aveugle dans les vieux pots pour faire les meilleures soupes, pourrait bien être le vrai dernier survivant d’une époque de cinéma, le seul à avoir franchi avec succès le cap de la soixantaine, ayant réussi, par une intelligence du regard sur soi, la mutation dans la continuité de son image.