De prime abord, la noirceur de Dune semblait présenter un écrin idéal pour les motifs que Denis Villeneuve ne cesse de réemployer dans chacun de ses films. Le roman de Frank Herbert raconte comment Paul Atréides, jeune prince débarqué avec son clan sur la planète Arrakis pour en exploiter les ressources, se confronte au pourrissement des sociétés humaines, à tel point qu’il finit par accepter de devenir le meneur d’une guerre apocalyptique. La question de la représentation de la contamination du mal y apparaît donc comme centrale et tout à fait raccord avec le sillon tracé par le réalisateur de Sicario, dont les films travaillent l’idée, quelque peu nihiliste, que le mal se combat avant tout par le mal. Pourtant, surprise, la rencontre ne prend jamais vraiment forme. Aucun véritable surgissement horrifique ne vient troubler le déroulement mécanique des événements, sources sur le papier de purs moments d’effroi. Des exactions de l’occupation coloniale à la brutalité des affrontements entre clans, en passant par les nombreuses mises à mort dont la caméra se détourne, Villeneuve semble survoler de loin le cœur de son récit, peut-être inquiet des résonances actuelles d’un tel canevas (il est après tout question de décolonisation et de djihad), tandis que de multiples voix off dévoilent les pensées des personnages. La tragédie trébuche, quand elle ne stagne pas tout simplement, alourdie par les omniprésentes nappes musicales de Hans Zimmer qui enlisent le film irrémédiablement, à l’image (réussie pour le coup) des victimes des vers géants englouties par le désert lui-même.
Une affaire d’échelles
C’est que la vulgarisation de l’épaisse mythologie du roman par une tentative d’humanisation, certes attendue, prend beaucoup de place au dépend du reste. La volonté manifeste de s’approcher au plus près des personnages tombe à plat, écrasée par une somme de dialogues explicatifs. Quant à la guerre, seul acte par lequel ces corps, maintenus statiques dans les intérieurs vides, sont amenés à se mouvoir, elle ouvre sur des automatismes jamais connus chez Villeneuve, à l’image de ces scènes de charge de troupes nocturnes filmées de profil, ou de ralentis sur des héros restés en arrière pour contenir l’agresseur. On reconnaît tout de même ici et là le goût pour la stase du réalisateur de Blade Runner 2049, au détour de plans aériens glissant sur les textures des surfaces terrestres. Les plans d’ensemble du désert de la planète Arrakis témoignent certes d’une ambition spectaculaire, mais souffrent souvent de leur déconnexion avec l’objet du récit.
Il manque la transcendance qui permettrait d’entrer en contact avec cette matérialisation tellurique des forces de destruction élémentaires. Par ses rêves, et surtout par son expérience de l’épice, source d’énergie fondamentale de l’univers, Paul devient capable de s’extraire des échelles humaines pour éprouver le lien entre l’être, l’espace et le temps. Sauf que, réduites à des visions semi-cryptées, ses projections se limitent à la prévision des événements à venir, dont celui de la rencontre avec l’être aimé, répétée ad nauseam jusqu’à sa réalisation. Seule la confrontation avec le ver géant offre une tentative de jeu d’échelles, par la mise en perspective de la fragilité d’un être face à l’immensité du néant. Moment bien isolé, tant il y avait par ailleurs de quoi jouer avec les chronologies afin d’ouvrir des brèches dans un récit désespérément cloisonné. Trop occupé à suivre consciencieusement la prophétie dont Paul est à la fois l’acteur et le spectateur, Villeneuve ne parvient pas à dessiner une issue qui permettrait à son Dune de s’extraire de la laborieuse marche en ligne droite illustrée par le dernier plan du film. Si la voix off affirme alors que tout ceci n’est « que le début », l’éclosion du potentiel de la franchise dans une éventuelle suite tient dans ces conditions plus du mirage que d’un espoir véritable.