Genre usé jusqu’à la corde, caricaturé à l’extrême, prétexte aux débauches numériques les plus extravagantes, le film d’invasion extra-terrestre est quasi mort, écrasé sous le poids de ses excès. Que le renouveau arrive par Denis Villeneuve n’est pas la moindre des surprises. Cinéaste ambitieux, le Québécois a souvent péché par le trop-plein, comme s’il était angoissé par le hors-champ. Dire, montrer, être le plus explicite possible, c’est l’anti-thèse précisément de Premier contact, beau film sur le langage, sur l’impérieuse nécessité de l’écoute, sur le temps : le temps qu’il faut donner à l’autre pour se faire comprendre, le temps qu’il faut se donner pour se comprendre soi-même. Denis Villeneuve trouve ici un point d’équilibre précieux entre son propre lyrisme, l’austérité surprenante de son scénario et les codes du genre, pour atteindre une grâce éblouissante, en contournant astucieusement quelques pistes attendues.
Pas de grande surprise dans les premières minutes du film, qui débute exactement comme on peut l’imaginer : un beau matin, douze gigantesques objets volants non identifiés apparaissent aux quatre coins du globe. Sortes de gros galets noirs en lévitation verticale (on dirait le monolithe de 2001 redessiné par un designer d’Apple), ils provoquent la stupeur et l’interrogation : ces extra-terrestres sont-ils hostiles ou viennent-ils en paix ? Aux États-Unis, Louise, une linguiste chevronnée (Amy Adams) est dépêchée sur le site pour établir un contact avec les aliens et tenter de déchiffrer ce qui s’apparente à une forme de langage… avant qu’un autre pays, moins enclin aux négociations, ne dégaine ses armes le premier.
Le monde du silence
Évacuons le sujet d’emblée : les enjeux géopolitiques déployés dans le film ne sont pas son point fort. Les circonvolutions imaginées par le réalisateur et son scénariste pour évoquer les crises politiques déclenchées par l’irruption des vaisseaux donnent lieu à un défilé de lieux communs qui, s’ils ne sont pas déconnectés de la réalité, frisent tout de même la caricature. Heureusement, la question diplomatique n’est ici qu’un ressort dramatique, un accessoire. Le cœur du film bat dans la trajectoire personnelle de son héroïne, marquée par un trauma familial et portée par une ambition qui dépasse amplement le cadre professionnel. Dans le rôle, Amy Adams, omniprésente, est remarquable, trouvant un équilibre miraculeux entre détermination, inquiétude et chagrin.
Comment établir un premier contact avec une entité inconnue, aux motivations indéchiffrables ? Le film s’applique à montrer le cheminement intellectuel de la linguiste, aidée par un scientifique (Jeremy Renner) tout aussi éberlué qu’elle. Mais, là encore, le réalisateur ne s’embarrasse guère de détails techniques ou de bavardages assommants. Premier contact montre les creux, les silences, et par ce biais le trajet vertigineux que doit emprunter Louise dans sa propre histoire intime. Villeneuve excelle dans la mise en scène d’un dialogue a priori impossible, dans la représentation de la pureté absolue du contact entre deux formes de vie vierges de toute histoire commune. Le film déjoue intelligemment les attentes de cette représentation : sans rien dévoiler des postulats esthétiques du cinéaste (moins on en sait, mieux c’est), on peut néanmoins s’émerveiller de son parti-pris anti-spectaculaire à tous points de vue, capable d’éblouir avec très peu d’effets tout en faisant habilement quelques pieds de nez aux stéréotypes du genre.
Moins à l’aise avec l’évocation sensitive des souvenirs de l’héroïne (du sous-Malick tendance The Tree of Life : vent dans les cheveux, gros plans sur un enfant qui court dans les herbes folles, lumière de fin d’après-midi d’été, tout y est), Villeneuve réussit pourtant, aux deux tiers du film, à retourner ce gimmick scénaristique un peu usé et à en faire bien plus qu’un twist habile. Le versant mélodramatique de Premier contact prend alors une ampleur inattendue. Le film oppose l’innocence de la première rencontre à l’expérience tragique de l’humanité (naître, vivre, mourir), avant de les réunir dans un mouvement circulaire qui brasse tout, dans un même élan. L’histoire du Monde se répète, sans cesse, c’est ce qui fait son drame et sa beauté. De ce discours a priori d’une folle naïveté, terriblement sentimental, Villeneuve tire une fable bouleversante, d’une simplicité désarmante.