Prix du jury au dernier festival de Cannes, Fish Tank a tout bon. Avec l’histoire de Mia, adolescente mal dans sa peau, évoluant dans un milieu social difficile, racontée à la fois avec force et en finesse, Andrea Arnold frappe juste. Et offre à nouveau une écriture personnelle parfaitement ajustée à ses personnages et à ses paysages.
Il est de ces films contemporains qui collent parfaitement à leur époque, qui savent la capter, par la magie de quelques personnages sublimes, pour en livrer un tableau sensible. Ce n’est pas ce qui fait leur valeur première, tant il existe de films ratés et qui se veulent inspirés d’une réalité sociale. Il ne suffit évidemment pas de s’attacher à un cadre économique et social d’actualité pour livrer un film réussi. Mais lorsque le film est réussi, sa force dans la captation d’un monde contemporain vient coiffer toute sa valeur. Et c’est parce qu’il retranscrit le goût de notre monde, de son fonctionnement et de ses dysfonctionnements, mais par une écriture précise, serrée, sensible, et par une vision artistique unique, que Fish Tank est réussi dans ce double sens. Une œuvre qui transmet la sensation d’une inscription dans le temps, pour longtemps.
Fish Tank, c’est l’histoire de Mia (Katie Jarvis, belle découverte). Adolescente rebelle, elle vit dans une barre d’immeuble de l’Essex, à l’est de Londres, domaine de la grisaille et de la promiscuité et ghetto de classes qui ont abandonné la lutte. A ses côtés, une petite sœur bruyante et une mère célibataire qui l’exaspère. Des pimbêches crâneuses et des gars qui galèrent. Un terrain vague planté de caravanes et des gitans qui y vivent. Vous avez dit Ken Loach ? Fish Tank en a l’écho et la même saveur (de Sweet Sixteen, notamment). Il lui a même piqué une actrice principale, Kierston Wareing, premier rôle de It’s a Free World !, en 2008, qui joue ici la mère. Mia, aux prises avec une existence terne, comble son vide par sa passion de la danse. Vous pensez à Billy Elliot ? Pas vraiment… D’une part parce que les scènes de danse ne constituent pas le squelette du film, mais aussi car le propos du film n’est pas tant l’exploration de la relation mère-fille – qui est par ailleurs bien présente – que la captation de l’éveil d’une jeune fille à l’amour, aux sentiments, à elle-même. Éveil qui débute à la faveur de l’installation du nouvel amant de sa mère à la maison, Connor (magnifique Michael Fassbender, une fois de plus).
Fish Tank, film britannique qui tient des plus grands, est bien l’œuvre de la réalisatrice Andrea Arnold, déjà remarquée internationalement avec Red Road en 2006. Une cinéaste qui fait décidément montre d’une écriture et d’une sensibilité bien à elle. D’abord, dans sa façon d’appréhender l’espace. Si la majeure partie du film se déroule dans le huis clos de l’appartement (dont la réalisatrice sait déjouer les pièges pour rendre à la fois une impression de promiscuité mais aussi d’espaces rendus intimes, pour un temps), les scènes d’extérieur révèlent une poésie maîtrisée et instillée jusque dans les usines, les casses de voitures, les paysages désolés où évolue Mia, le plus souvent seule.
Andrea Arnold s’avère également impressionnante dans le dessin de ses personnages, qui occupent tous une première place, selon le point de vue où on se place, et dans l’intelligence avec laquelle elle tisse leurs relations. Jamais manichéen, Fish Tank dégage une force parfois violente par le caractère même de ses personnages − voire par le retour à la réalité après la promesse d’un bonheur −, et par ses dialogues, mais aussi une finesse dans les rapports humains. Ce n’est pas un angélisme qui est proposé ici, mais plutôt l’exploration des deux faces, la lumineuse, la sombre, d’un même personnage. Fish Tank ne fait pas appel aux clichés les plus simples (l’image du père véhiculée par Connor ne cesse jamais d’être ambiguë) mais se joue plutôt d’eux pour en substituer un (toujours cette image de père comme promesse de changement) vers un autre, plus sombre… Plus qu’à mi-parcours, le scénario prend alors un chemin inattendu, poussant le personnage de Mia dans des extrêmes jusque-là planqués sous une bonne dose de provocation verbale et de mauvaise humeur, et celui de Connor vers une image qu’on ne voulait pas voir.
Drôle, juste et émouvant, Fish Tank a aussi tout bon au niveau des dialogues et de la façon d’utiliser l’humour pour rendre les choses plus légères. À cet égard, le personnage de la petite sœur en est le meilleur exemple, avec ses réparties à tout va, sa fougue et ses expressions drôles et alambiquées (« Tu vas attraper une poissonite ! » « Ta chaussette va attraper le sida ! »…) Un humour qui est le langage de l’amour que se portent mère et fille, fille et sœur, malgré tout. Le ballon en forme de cœur s’envolant entre les immeubles à la fin du film n’est pas, ici, une image éculée : elle vient juste déposer sur l’écran, pudiquement, un peu de la tendresse que se porte cette famille, mais qu’elle ne laisse jamais paraître.