Red Road : des personnages et une ville. Des caractéristiques présentées d’entrée de jeu par l’apparition de Jackie, une jeune femme qui observe tout Glasgow à travers les multiples caméras de la société de vidéo-surveillance où elle travaille. Conte banal du voyeurisme : elle se distrait avec la vie plus ou moins intime de ses concitoyens pour combler le manque d’intérêt qu’elle trouve à la sienne. C’est cependant par ces caméras qu’un soir, elle aperçoit un visage familier qu’elle souhaitait ne jamais revoir. Elle entreprend d’épier cet homme (on apprend qu’il s’appelle Clyde et qu’il sort de prison) et ce faisant s’expose à un danger pas nécessairement physique ni concret. De fait, tout le film est maintenu dans une instabilité prête à maintenir constamment l’attention et à instiller une angoisse sourde. Le décor urbain de Glasgow, ville peu avantagée par le temps maussade, joue évidemment beaucoup. Mais il faut ajouter des personnages constamment sur le fil, pas toujours prévisibles ni fiables (la protagoniste incluse), gardant toujours quelque chose par devers eux, et bien interprétés dans l’ensemble (mention spéciale à l’excellent Martin Compston, le héros tragique du Sweet Sixteen de Ken Loach). Andrea Arnold, dont c’est le premier long métrage, travaille plutôt bien sur l’instabilité de l’ensemble, filmant son héroïne comme un être en retrait, que ce soit dans son intimité ou en groupe, exploitant une photographie oscillant entre éclairages nocturnes de polars, et lumière naturelle qui, lorsque le soleil perce, est propice à des contre-jours accentuant le caractère insaisissable des personnages (le chef-opérateur est aussi celui du très bon Isolation).
Ce qui empêche le film de fonctionner tout à fait, c’est la contradiction entre ce danger diffus perceptible dans chaque scène, le doute qui en découle et qui travaille les nerfs et la conscience, et le mystère entretenu tout au long du métrage comme un film rouge et qui, lui, s’adresse plutôt à l’intellect. Mystère il y a, dans les racines du deuil qui frappe Jackie, dans ce Clyde qu’elle craint, dans l’entourage de ce dernier, dans les relations entre tous ses gens. Viennent des moments où ces questionnements purement scénaristiques, les soupçons concrets qui en résultent, prennent le pas sur le flottement insidieux qui sous-tend le film par ailleurs, et de fait en appauvrissent un peu l’intérêt en le ramenant à un whodunit. La cinéaste, peut-être trop heureuse de jouer aux devinettes, en vient à jouer au chat et à la souris avec le spectateur, avec des résultats peu probants. La façon dont elle sème le soupçon autour d’un Clyde qu’on ne voit au début qu’à travers une caméra de surveillance (est-il un assassin, un ex-mari de Jackie, voire un pédophile comme le suggère la scène où il attend à la sortie d’une école ?) ou la brutalité un peu arbitraire de certains rebondissements (l’acte coupable de Jackie vers la fin), rendent trop visible sa volonté de tirer les ficelles de son récit et de manipuler notre perception de ce dernier. Cette mise en avant de l’énigme scénaristique du film s’avère d’autant plus handicapante qu’elle n’est pas vraiment justifiée par sa résolution finale, plutôt classique. En voulant brouiller les pistes et montrer sa maîtrise du récit, Andrea Arnold gâche un peu ce qu’elle réussit par ailleurs : la mise en images d’une anxiété permanente.