Dénoncer
Plus directement politique qu’American Sniper, Good Kill incrimine la « guerre contre le terrorisme » menée par les États-Unis à l’aide de drones. Alors que le film de Clint Eastwood s’attache surtout à exhumer la violence intrinsèque à l’héroïsme américain sans porter de jugement, plus intéressé par le mythe fondateur guerrier de son pays qu’à la politique Bush – faisant du film un western moderne où la frontière est déplacée en Irak –, celui d’Andrew Niccol s’avère plus didactique. Peut-être même trop. Il se révèle en effet rapidement être une illustration assez pauvre de cette idée martelée d’une séquence à l’autre : « N’est-on pas en train de créer plus de terroristes qu’on en élimine ? » C’est la question que se pose Tom Egan (Ethan Hawke, assez transparent malgré ses séquences dramatiques) à chaque mission. Dans une boîte à la frontière de Las Vegas, derrière son écran et son joystick, cet ancien pilote d’avion de chasse se voit obligé de piler femmes et enfants afghans pour s’offrir à tout prix la tête de talibans. La question est bien sûr rhétorique, et le film fait alors péniblement semblant de chercher une réponse en augmentant graduellement le nombre des victimes collatérales. Cet exposé un peu fastidieux est doublé d’une leçon plus moraliste : convaincu qu’il y a quelque chose d’un peu suspect à détruire des vies à 10~000 km de chez soi sans mouiller le maillot, Egan est hanté depuis son retour du front. Une éthique de la guerre en somme. Soit. Malheureusement, sous un argument tout à fait recevable, Good Kill prend rapidement la forme d’une dénonciation qui, trop convaincue de sa vérité, peine à s’engouffrer dans les ramifications complexes de la situation qu’elle dépeint, et cède à un certain manichéisme.
Encadrer
Assez aride donc, le film est par ailleurs d’une laideur assez remarquable. Si celle-ci est due en partie aux décors de la banlieue de Las Vegas, elle revient surtout au désintérêt avec lequel Niccol la filme. Tout est nu ici. Désincarné. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir voulu y apporter de la vie : excessivement tragiques, la mise en scène et le jeu des scènes de ménage cherchent bien le débordement. Mais les armatures psychologiques que le scénario a élaborées, comme les lignes artificielles des pelouses en plastique, encadrent les personnages d’une main de fer. Rien ne vient perturber la courbe du film, l’effritement régulier de la famille et du soldat. Les tensions entre Egan et sa femme, comme le nombre de victimes collatérales, n’obéissent ainsi qu’au principe d’un accroissement monotone. Incapable de profondeur, le film se raccroche à une surenchère attendue. Tom Egan colle à sa destinée dans la seule perspective d’une explosion finale qui le verra choisir l’exil. Il y a une superficialité agaçante dans Good Kill, qui, assuré d’emblée de la force de son sujet, finit par s’en remettre presque entièrement à son aspect « scandale » en négligeant tout le reste.
Nouveaux héros
Aussi raté qu’il soit, le film d’Andrew Niccol témoigne pourtant aussi, à la manière de Citizenfour (Laura Poitras), du basculement de l’héroïsme américain en cette année 2015. Le héros semble se défaire progressivement d’un certain patriotisme qui le constituait presque entièrement jusqu’ici. On pourrait trouver là une forme de réponse aux films de super-héros, notamment, désormais figures de proue des grands studios. Avec The Avengers (2012) et Man of Steel (2013), l’Amérique se réappropriait par exemple le spectacle catastrophiste du 11-Septembre. Elle célébrait, peu après la mort d’Oussama ben Laden, sa confiance et son pouvoir retrouvés en détruisant comme jamais des New York fictifs, balayés par une débauche d’effets numériques aussi facilement qu’on souffle des châteaux de cartes. Good Kill et Citizenfour, mais peut-être aussi American Sniper, révèlent les doutes et les délires qui atteignent aujourd’hui les États-Unis dans leur nouvelle croisade. Il faut dire ici cette faculté à revenir aussi rapidement sur l’histoire récente. Que faire désormais dans ce bourbier de la guerre ? À cette question, American Sniper ne répond pas ; plaçant encore son héros du côté de l’armée, il est plus intéressé, nous l’avons dit, à exposer sa violence fondatrice ; c’est déjà un élément de réponse, quoi qu’on en dise. Dans Good Kill et Citizenfour, le héros remporte ses galons dans la désertion même. Si Niccol conclut un peu abruptement sur l’exil d’Egan, Poitras apporte la réponse la plus claire : l’héroïsme se trouve désormais ailleurs, certes, mais plus encore dans la lutte, chez des activistes politiques comme Edward Snowden. Affaire à suivre.