Producteurs, scénaristes, réalisateurs sonnent comme un seul homme : « faire en sorte que Superman corresponde au public d’aujourd’hui », « un super-héros de notre temps », etc. C’est presque une excuse par avance : le monolithique homme d’acier affiche d’emblée une sorte d’insubordination à l’époque contemporaine bouffie de ses héros ombrageux, parsemés de fêlures. À l’ère de l’ambivalence comme bagage par défaut du récit hollywoodien (où l’on se réjouit immanquablement que les franchises deviennent plus « sombres », comme une valeur objective), la subsistance de Superman est une délicieuse taquinerie. C’est le contretype parfait, l’inverse absolu de Batman : un bloc solaire, glabre et diurne.
Comment j’ai appris à aimer la bombe
Man of Steel, œuvre inégale, alterne réussites et échecs au regard de cette rigidité semi-divine du personnage, que Zack Snyder n’est pas toujours en mesure d’assumer. Quand il y parvient, le réalisateur de Watchmen réanime la dimension abstraite des aventures de Superman, qui fait de lui un super-héros absolu, gardien d’une ville qui n’en est pas une, sinon l’idée morte d’une ville : étendue immense et uniforme, infiniment vitrée, où la foule est muette, voire invisible, silhouettée tout au plus. Metropolis n’est pas comme son nom l’indique une métropole, mais l’ardente cité de verre où l’homme d’acier défie ses rivaux et à laquelle il inflige, à loisir, l’anéantissement atomique. C’est lors du combat final contre Zod, ennemi certes peu convaincant, que s’exprime avec le plus de grâce ce jusqu’au-boutisme de la destruction, horizontale et verticale, où ne survivent dans les ruines noires et osseuses de la ville que des personnages déjà connus (Lois Lane, Perry White) tandis que la masse humaine se volatilise – pas vraiment morte, mais dématérialisée par le récit. Superman est un spectre nucléaire. Il sème sur son passage cratères d’impact, ondes de choc et embrasements mortels ; c’est un personnage aussi infiniment positif que destructeur.
Œuvre inégale, parce que ce n’est que sur la fin que Zack Snyder honore ce minimalisme. Qu’il s’y applique ne serait-ce que partiellement constitue déjà une surprise. Éternel bambin d’Hollywood, on ne peut que constamment lui reprocher sa gloutonnerie. Clark Kent se noie ? Rajoutez‑y une baleine, et son petit pendant qu’on y est ! Il y a en Snyder une sorte de peur panique du vide, du creux, du moindre entrebâillement silencieux. Hans Zimmer soude tous ces interstices à grands renforts de violons, comme autant d’occasions manquées de vibrer un instant, sur un geste, un regard, une coupe. Pour Zack Snyder, la mise en scène ne se fait que positivement, par l’ajout ; jamais par la soustraction et le choix.
Pour l’écriture, en revanche, il faut lui reconnaître la véritable surprise du film : avoir su faire souffler sur la conception du personnage une veine inédite, qu’on pourrait qualifier de spielbergienne. Les « années Smallville » de Superman font l’objet dans Man of Steel d’une subite rupture de la linéarité, où la narration entre dans une promenade erratique entre les époques, de l’enfance à l’âge adulte. Ces échanges vagabonds sont parcourus de fantômes secondaires (les camarades de classe), qui de leur état adolescent à leur stabilisation future, oscillent parallèlement à Clark, gravitent autour de leur nature. Dans toutes les époques et les identités infuse ce sentiment profondément Amblin-esque de la peur magnétique et fascinée d’un extraordinaire inconnu, tapi dans le temps, dans l’espace ou en soi, et de la nécessité fatale de l’affronter, de s’harmoniser avec lui, qu’il soit fabuleux ou intime.
À l’arrivée, Man of Steel est malgré lui un film à épisodes, soumis à la succession boiteuse de passages inspirés avec d’autres que l’industrie exhale par défaut, dans toute sa goinfrerie enguirlandée de décors et de nappes sonores. Quand il parvient à s’affranchir de l’époque, Zack Snyder, le dernier qu’on attendait sur ce terrain, amène un instant une oasis, un souffle d’air ; mais l’implacable façon qu’ont ces espoirs de toujours se dissiper nous fait presque n’y voir plus rien que de fuyants mirages, dans un triste désert où, dorénavant, tous les films de super-héros se ressemblent.